En cours de création, le consortium Xenocure, qui regroupe les acteurs français, publics et privés, de la xénogreffe, affine sa stratégie. À l’occasion d’une série de tables rondes, organisée à Paris le 4 novembre 2025, le collectif a détaillé ses ambitions quant à la création d’une filière européenne de xénotransplantation mais aussi les défis qui lui restent à relever, le premier étant financier.
À l’international, les États-Unis et la Chine font la course en tête. Les deux pays investissent massivement dans le domaine et ont déjà mené plusieurs expérimentations à partir d’organes de porcs génétiquement modifiés. Aux États-Unis, après des xénotransplantations sur des patients en mort encéphalique, l’agence de sécurité du médicament (FDA) a autorisé trois essais cliniques : deux sur le rein et un autre sur la reperfusion du foie.
« Les implications cliniques sont encore limitées », souligne le Pr Emanuele Cozzi, de l’université de Padoue, ancien président de l’Association mondiale de la xénogreffe (IXA), membre du comité d’éthique de l’IXA et membre du comité européen sur la transplantation d’organes au Conseil de l’Europe. Mais « l’Europe est déjà en retard », pointe-t-il. Sur le continent, « l’Allemagne est le pays le plus proche d’aboutir cliniquement, avec des équipes qui travaillent sur des xénotransplantations de cœur. Après de premiers résultats chez les primates, les autorités sont en contact avec l’agence européenne du médicament (EMA) », poursuit-il.
Cinq à dix fermes de porcs génétiquement modifiés pour couvrir les besoins en Europe
Pour autant, « si l’Allemagne part seule, ça ne marchera pas », tacle le Pr Bernard Charpentier, ancien président de l’Académie nationale de médecine et ancien doyen de la faculté de médecine de Paris-Sud. Pour ne pas se rendre dépendants des acteurs chinois et américains, les Européens doivent partir « unis », encourage-t-il. Et de préciser que cinq à dix fermes pharmaceutiques d’élevages de porcs génétiquement modifiés sont nécessaires en Europe pour couvrir les besoins en greffons de la population du continent.
Pour l’heure, la France est le seul pays à héberger une ferme pharmaceutique. En activité depuis 11 ans, la biotech Xenothera, basée à Nantes, produit déjà des anticorps, des cornées et des pansements d’origine porcine. Actuellement, l’élevage comprend 1 000 porcs génétiquement modifiés et la biotech dispose d’un atout : Xenothera maîtrise la reproduction, « un savoir-faire important pour réduire les coûts », souligne la Dr Odile Duvaux, présidente et co-fondatrice de Xenothera.
La création de la ferme de Xenothera a nécessité un investissement de 10 millions d’euros. La biotech a reçu le soutien de France 2030, mais les montants investis sont loin des financements débloqués en Chine et aux États-Unis. Cette question est l’un des sujets portés par Xénocure. La coordination européenne est une « nécessité », car « les besoins en financement sont importants », explique le Pr Olivier Thaunat, professeur en néphrologie et immunologie de la transplantation aux Hospices civils de Lyon et président de la Société européenne pour la transplantation d’organes (Esot).
Un premier pas avec des xénogreffes d’îlots de Langerhans
Pour ne pas « rester sur le côté », le consortium envisage une approche « séquentielle » pour « monter en gamme », indique le Pr Gilles Blancho, directeur de l’Institut de Transplantation-Urologie-Néphrologie (ITUN) au CHU de Nantes. Alors que ses concurrents sont parvenus à transplanter des organes vascularisés, l’Europe pourrait se tourner vers la greffe de sous-partie d’organes, comme les îlots de Langerhans. Ce serait une « étape intermédiaire », plaide le Pr Thaunat. « Même sans moyens financiers au niveau des investissements chinois et américains, on peut obtenir des données et des résultats », juge-t-il. Des xénogreffons de porcs sont déjà utilisés pour les valves cardiaques, rappelle le Pr Blancho, évoquant un projet « à la française », « par pallier ».
Autre point crucial pour développer une filière européenne, la clarification de la réglementation. Au niveau national, la loi de bioéthique permet les xénotransplantations, mais les bonnes pratiques restent à définir. « C’est le rôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) », précise Samuel Arrabal, responsable du pôle Recherche Europe international et veille de l’Agence de biomédecine (ABM). La réflexion est en cours à partir des avis de l’ABM et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Côté ABM, « on cherche à définir les patients à inclure dans les essais cliniques », poursuit Samuel Arrabal.
Un cadre réglementaire encore à définir
Au niveau européen, le cadre pourrait évoluer. Sollicitée par l’Allemagne qui prépare des essais, l’EMA a jugé qu’il fallait se référer au règlement sur les thérapies innovantes, et non à la directive sur les organes, à partir de laquelle les autorités françaises avaient entamé leur réflexion. « Devant l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’EMA a estimé que le cadre proposé n’était pas satisfaisant », révèle Samuel Arrabal, suggérant de possibles évolutions.
De nombreux défis restent à relever en vue du développement d’une filière européenne pour la xénotransplantation. Mais le temps presse. Face aux États-Unis et à la Chine, l’Europe risque le « décrochage » en raison d’un « manque de financement et de réglementation », estime la sénatrice Jocelyne Guidez, en ouverture de la journée, avant d’appeler appelle à une « impulsion politique ».
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