Pourquoi, depuis les années 1990, peu ou pas grand-chose n’a été fait pour freiner l’érosion de la démographie médicale ? Pourquoi les acteurs de l’écosystème poursuivent-ils tous le même objectif (améliorer l’accès aux soins) sans parvenir à s’entendre sur la méthode ? Pourquoi, en lieu et place d’une grande loi santé, voit-on seulement de courts textes d’ajustement arriver au Parlement ?
C’est ainsi que le président de la commission des Affaires sociales du Sénat, Philippe Mouiller (LR) a ouvert le débat autour de la formation des médecins, lors d’un colloque organisé la semaine dernière par l’URPS médecins libéraux d’Île-de-France (URPS ML IDF). De quoi donner le ton, quelques jours après l’adoption du texte du ministre de la Santé Yannick Neuder rendant effective la suppression du numerus clausus. Désormais, la prise en compte des besoins de santé du territoire est prioritaire par rapport aux capacités de formation des universités – lesquelles peuvent être sommées de les accroître par les ARS. Mais est-ce la bonne solution pour pallier rapidement et efficacement le manque de médecins ?
Dans ce contexte, la Dr Valérie Briole, présidente de l’URPS ML IDF, a proposé un nouveau calcul pour répartir les postes d’internat par spécialités médicales dans sa région. Ce calcul prend en considération la priorité donnée à la médecine générale qui obtiendrait 60 % des effectifs, les besoins des chefs de service hospitaliers, un statu quo avec une règle au prorata des affectations antérieures, mais aussi les besoins de santé de la population, ainsi que la réalité des territoires.
Cette simulation capacitaire de l’URPS indique qu’il faudrait, chaque année, ouvrir 2 573 postes, dont 1 182 en médecine générale (contre 539 aujourd’hui). Les données des libéraux franciliens projettent également un besoin de 493 postes en psychiatrie (contre 11 actuellement), 204 en ophtalmo (contre 29) et 134 en rhumatologie (contre 16). Consciente de la difficulté de l’exercice, l’URPS reconnaît les « limites » de ses propres calculs.
Incertitudes
Cette question de la nature et du nombre de critères à retenir pour placer le curseur des places d’internat au bon endroit a été au cœur des discussions. Julia Bardes, chargée d’études à l’Observatoire régional de santé francilien, juge qu’en l’état, on ne prend pas suffisamment en compte « l’offre de soins existante dans notre territoire inégalitaire avec des besoins spécifiques ». Des indicateurs relatifs aux besoins actuels non satisfaits (comme les patients sans médecin traitant), au temps d’attente aux urgences, aux délais de rendez-vous en cabinet, aux taux de dépistages et à l’accès aux soins palliatifs doivent peser dans la balance. Pour le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l’Ordre des médecins, il faudrait aussi intégrer à l’équation la place du médecin dans le parcours de soins, « ce qui renvoie à l’interprofessionnalité », l’intelligence artificielle (IA) et l’évolution du temps de travail.
Avant de prédire l’avenir, il serait bon de s’occuper du présent des carabins et des internes
Au final, indicateurs, algorithmes et autres savants calculs aident-ils vraiment à prévenir le besoin de médecins ? Si Romain Bégué, représentant du ministère de la Santé et expert du sujet pour la DGOS, juge qu’il faut « progresser sur l’anticipation » à travers une « combinaison » de méthodologies, il ne prend pas le risque de donner la combinaison du coffre-fort. « On ne peut pas vraiment anticiper le comportement des étudiants », certains pouvant au dernier moment décider de retenter le concours pour obtenir la spécialité qu’ils désirent, recadre Agnès Bocognano, secrétaire générale de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS).
Peur de la précarité pédagogique
Les premiers concernés par ce remue-méninges ont alerté l’auditoire : avant de prédire l’avenir, il serait bon de s’occuper du présent des carabins et des internes. « Avoir des cours à la faculté dans des conditions décentes », un nombre de terrains de stages satisfaisants et un directeur de thèse pour chacun serait la moindre des choses, a averti la présidente du SRP-IMG (internes parisiens de médecine générale), Maïssa Boukerrou. « Quand j’étais externe en stage en cardiologie, on était trop nombreux, on me demandait donc de ne venir qu’un jour sur deux ! », appuie Lucas Poittevin, président des étudiants en médecine de l’Anemf. Cette « peur de la précarité pédagogique » sur certains terrains de stage reflète un réel manque d’accompagnement qui pénalise au quotidien les internes, ont confirmé le vice-président du SIHP (internes de Paris) Michel-Gabriel Cazenave et Killian L'helgouarc'h, président de l’Isni (internes).
À l’heure ou le gouvernement cherche tous azimuts des solutions à la désertification médicale, le sujet de la formation des jeunes pousses est d’autant plus important que les internes s’installent majoritairement dans les territoires où ils ont grandi, mais également là où ils ont fait leurs stages, a conclu à bon escient le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE).
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