Un groupe d’experts alerte contre les conséquences sanitaires de la consommation d’aliments ultratransformés

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Publié le 19/11/2025
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Des experts réunis par le « Lancet » tirent le signal d’alarme : les aliments ultratransformés prennent de plus en plus de place dans l’alimentation, avec un impact non négligeable sur la santé. Ils appellent les pouvoirs publics à améliorer l’accès à des aliments peu ou pas transformés.

Crédit photo : Levine-Roberts/Sipa USA/SIPA

C’est une série de trois articles qui a demandé près de 10 ans de travail à ses 43 auteurs : le premier dresse la liste des arguments scientifiques en faveur d’un surrisque de maladies chroniques et de décès liés aux aliments ultratransformés, le deuxième détaille la stratégie déployée par les lobbies pour promouvoir leurs produits et décourager toute tentative de réglementation contraignante, et le troisième propose des politiques publiques efficaces pour réduire la part des aliments ultratransformés dans la consommation.

Pour rappel, les médicaments ultratransformés, tels que définis dans la classification Nova (un système de classification des aliments en fonction de leur niveau de transformation développé en 2009 par l’équipe brésilienne du Pr Carlos Monteiro, par ailleurs premier auteur de la première étude) sont des aliments dont au moins un des ingrédients se caractérise par un haut degré de transformation, comme des sucres hydrolysés, des matières grasses hydrogénées, des additifs alimentaires ou des protéines isolées.

Un effet sur la santé mentale

Les auteurs se sont appuyés sur des études mécanistiques et des essais randomisés pour déduire que les aliments ultratransformés étaient un des facteurs clés expliquant l’explosion mondiale de maladies chroniques. Selon Mathilde Touvier, directrice de recherche Inserm, coordinatrice de la cohorte NutriNet-Santé et Bernard Srour, chercheur INRAE, qui ont participé à cette série, « de plus en plus d’études montrent qu’une alimentation riche en aliments ultratransformés nuit à la santé. Si un débat scientifique sur les aliments ultratransformés est le bienvenu pour renforcer le niveau de preuves disponibles, notamment sur les mécanismes et les facteurs impliqués, il convient de le distinguer des tentatives des groupes d’intérêts particuliers visant à discréditer les preuves scientifiques actuelles et à freiner les politiques de santé publique ».

Sur les 104 études rassemblées par les experts, 92 établissaient un lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et un surrisque de mortalité toutes causes, de mortalité cardiovasculaire et de pathologies gastro-intestinales, respiratoires, métaboliques ou mentales. Dans la majeure partie des cas, les études montrent une association linéaire entre les quantités consommées et le risque de développer de telles pathologies. « Nous avons été surpris par la variété des maladies dont la prévalence augmente avec la consommation de produits ultratransformés », explique la Dr Camila Corvalan, directrice du centre de recherche sur l’environnement alimentaire et la prévention des maladies chroniques associées à la nutrition (Ciapec), à l’université du Chili. Aux côtés des dyslipidémies, obésités abdominales, maladie de Crohn et autres maladies coronaires et cérébrovasculaires dont le surrisque lié à une forte consommation d’aliments ultratransformés est confirmé dans l’article du Lancet, une association a également été trouvée avec la dépression.

Les mécanismes plausibles sont le déséquilibre nutritionnel, la surcuisson, un apport plus faible en composés phytochimiques protecteurs, voire la présence de contaminants toxiques lors de la transformation et de l’emballage des aliments. Les auteurs évoquent aussi l’effet des additifs sur l’inflammation et le risque de dysglycémie, de dyslipidémies, de dysbiose et de dysfonction rénales ou hépatiques. Des études vont jusqu’à estimer que 14 % des décès prématurés aux États-Unis et au Royaume-Uni sont en lien avec ces aliments. « Certains produits ultratransformés prétendent être sains pour la santé, comme des produits vegan de substitution de la viande ou du poisson. Mais il s’agit d’aliments lourdement transformés », précise Mathilde Touvier.

Des politiques coordonnées

La somme des connaissances accumulées sur l’impact de l’ultratransformation est encore jugée insuffisante par les auteurs, qui déplorent le faible nombre d’études prospectives. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’attendre pour passer à l’action. « L’amélioration du régime alimentaire ne doit pas reposer seulement sur les changements de comportement des consommateurs, écrivent les experts. Il faut des politiques coordonnées pour réduire la production, la promotion et la consommation des produits ultratransformés, à côté d’autres efforts pour réduire la consommation de produits gras, salés et sucrés tout en promouvant l’accès à des aliments sains », ajoutent-ils.

« Pour les entreprises de l’agroalimentaire, les aliments ultratransformés ont l’avantage d’être extrêmement rentables, explique le Pr Carlos Monteiro, de l’école de santé publique de l’université de São Paulo, au Brésil. C’est la raison pour laquelle elles soutiennent des campagnes de marketing intensives. » Les aliments ultratransformés représentent un chiffre d’affaires annuel de 1 900 milliards de dollars (1 640 milliards d’euros), soit plus de la moitié des dépenses alimentaires des foyers mondiaux.

Les experts proposent d’intervenir à 4 niveaux : signaler les risques sanitaires sur les produits ultratransformés, restreindre la publicité en ligne ou ciblant les enfants, réduire leur attrait par la taxation, et financer l’accès à une nourriture saine et peu ou pas transformée. « Il faut la même volonté politique que celle qui a permis de lutter contre l’industrie du tabac », martèle le Dr Phillip Baker, de l’université de Sydney.

Quelques pays pourraient faire école : le Brésil a lancé un programme d’élimination des produits ultratransformés dans les cantines scolaires à l’horizon 2026, en dépit de l’opposition acharnée des barons locaux de l’agro-industrie.

En France, les aliments ultratransformés représentent environ 35 % de nos apports caloriques, selon une estimation de l’Inserm. Leur part dans les apports énergétiques s’élève à plus de la moitié aux États-Unis et Royaume-Uni. D’autres pays partent de plus loin mais connaissent une augmentation accélérée ces 30 dernières années, comme l’Espagne (de 11 à 32 %), la Chine (de 4 à 10 %), ou le Mexique (de 10 à 23 %). Chaque augmentation de 10 % de la part des aliments ultratransformés est associée à une augmentation de la prise calorique de 34,7 kcal.


Source : lequotidiendumedecin.fr