Fin de vie

Aider le généraliste à réaliser le dernier soin

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Publié le 07/12/2018
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La loi Claeys-Leonetti de 2006 devait faciliter l’accès des patients à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Elle a eu l’effet inverse. Dans un rapport rendu public la semaine dernière, le Centre national des soins palliatifs (CNSP) et de la fin de vie pointe les difficultés liées à une « certaine frilosité des équipes soignantes ». Même « l’accès à des pratiques sédatives plus banales, qui ne posaient aucune question éthique jusque-là, semble s’en trouver atteint », souligne le rapport. En pratique, les généralistes sont peu nombreux à réaliser cet acte. Membre du groupe de travail au CNSP, le Dr Marie-Laure Alby, généraliste à Paris, décrit les obstacles auxquels sont confrontés les médecins en ville et explique comment ils pourraient être surmontés.
Dr Marie-Laure Alby

Dr Marie-Laure Alby

Le rapport décrit la réticence des équipes de soins à pratiquer la sédation profonde. En est-il de même en ville ?

Dr Marie-Laure Alby. Les médecins font face à de vrais cas de conscience. Mettre fin à une vie n’est pas un geste naturel et simple. Ils ont parfois des réticences à réaliser ce geste, il faut l'accepter, en parler et donner la possibilité aux vrais récalcitrants de passer la main à quelqu’un d’autre. Il faut aussi expliquer cet acte. Cela nécessite du doigté, car le praticien fait face à la famille, les infirmiers, les aides-soignants. Arrêter un médicament, c’est une chose, mais arrêter l’alimentation et l’hydratation, même si le malade a une position très claire, c’est un acte délicat, d’autant plus à domicile où il y a un côté intrusif pour les gens. À l’hôpital, on imagine quelque chose de plus protocolaire.

Dans votre contribution, vous soulignez aussi la difficulté pour le généraliste de poser seul le diagnostic.

Dr M.-L. A. Il importe de ne pas rester seul face à cette situation, qui doit être abordée collégialement. Je peux appeler certains collègues pour discuter de la situation, des spécialistes. Plus que de la formation, je pense que nous devons organiser de nouvelles formes d’exercice comme les communautés professionnelles territoriales de santé, pour mieux échanger. Nous progresserons dans la réponse apportée aux patients beaucoup plus efficacement si l’on en parle entre professionnels. Même si à la fin, le généraliste doit assumer seul la décision, et ne pas
la faire reposer sur la famille.

La sédation en ville est-elle compliquée par des difficultés d’accès aux médicaments ?

Dr M.-L. A. La sédation doit normalement être réalisée avec un médicament auquel nous n’avons pas accès en ville. Nous faisons donc avec les moyens du bord, dans la même gamme chimique. Il serait souhaitable que les médecins puissent prescrire ou retirer eux-mêmes les produits utiles si nécessaire. Ce n’est pas un acte caché, mais négocié. Il n’est pas non plus malin de réserver cet acte à certaines équipes soignantes alors qu’elles y sont en partie opposées.

À quelles autres difficultés se heurtent les médecins de ville qui souhaiteraient pratiquer une sédation ?

Dr M.-L. A. C’est bien beau de vouloir aider les gens à terminer leur vie, mais un minimum de points doivent être pensés pour accompagner dignement les patients et les médecins. Il faudrait que soient financées des aides pour laver la personne, changer le linge, qu’il y ait du monde autour. Cet acte est très compliqué en dehors d’un système d’hospitalisation à domicile. Il faut l'intégrer dans l’aide à la fin de vie, et le rendre plus facile à déclencher.

Comment faire avancer le sujet ?

Dr M.-L. A. Depuis que j’ai fait partie du groupe de travail, je suis davantage proactive. J’essaie d’anticiper, de parler avec mes patients des directives anticipées quand ils sont encore en bonne santé. Tout le monde doit être capable de répondre à cette demande du malade. Ce n’est pas si compliqué, mais il faut avoir pensé la chose avant. Nous généralistes, devons avoir une vraie réflexion autour du juste soin : jusqu’où devons-nous soigner des gens très malades ? Toutes les professions n’ont pas forcément travaillé là-dessus ; les réanimateurs oui, les neurologues beaucoup moins. L’ensemble de la communauté soignante doit partager une réflexion sur ce sujet. Cela permettra d’arriver à un consensus dans les cas difficiles.

Propos recueillis par Amandine Le Blanc

Source : lequotidiendumedecin.fr