Après le sein, le côlon et le col de l’utérus, le cancer du poumon sera-t-il le prochain sur la liste des tumeurs à dépister ? L’idée fait en tout cas son chemin et occupe de plus en plus la communauté scientifique et les autorités sanitaires. Vendredi dernier l’INCa annonçait ainsi, à l’occasion du bilan des un an du plan Cancer, « la mise en place d’une évaluation et d’une expérimentation du dépistage des cancers broncho-pulmonaires par scanner thoracique non injecté faiblement dosé ».
Quinze jours plus tôt le Dr Bernard Milleron (président honoraire de l'Intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique-IFCT) dressait lors du congrès de pneumologie de langue française (Lille, 30 janvier-1er février 2015), un état des lieux plutôt optimiste sur le sujet. Suggérant à la lumière d’études récentes que certains obstacles souvent pointés pour retoquer le dépistage pourraient être sinon de faux problèmes, du moins contournables.
- 20 % de mortalité selon l’essai NLST….
Alors qu’en dehors de la chirurgie les possibilités thérapeutiques dans les cancers du poumon restent limitées, la question de leur dépistage agite depuis longtemps le monde médical. D’autant qu’on sait, depuis l’étude Elcap, qu’un diagnostic précoce de la maladie laisse espérer un taux de survie à dix ans proche de 80 %.
La publication en 2011 de l’étude américaine NLST a accéléré les choses en montrant qu’un dépistage par scanner faible dose, organisé et ciblé sur les gros fumeurs, permettait de réduire de façon significative la mortalité des patients. Cet essai a comparé chez plus de 53 000 volontaires, un dépistage par scanner faiblement dosé vs un dépistage par radiographie standard. Les participants âgés de 55 à 74 ans étaient tous de gros fumeurs (≥30PA) ou d’anciens gros fumeurs sevrés depuis moins de 15 ans. Trois scanners étaient réalisés à un an d’intervalle Après un suivi médian de 6,5 ans, les auteurs ont observé « une diminution de 20 % de la mortalité spécifique dans le groupe scanner et une diminution de 6,7 % de la mortalité générale », résume le Dr Milleron.
Outre-Atlantique, ces résultats ont conduit l’ensemble des sociétés savantes concernées à recommander le dépistage par scanner. En novembre dernier, l’organisme américain Medicare a suivi le mouvement en acceptant le principe d’un remboursement pour les sujets répondant aux critères d’éligibilité retenus dans l’étude NLST.
L’Europe reste davantage sur la réserve pour le moment, seuls l’Esmo (European Society For Medical Oncology) et un groupe d’experts français réunis à l’initiative de l’IFCT et du GOLF (Groupe d’Oncologie de Langue Française) s’étant à ce jour prononcé en faveur du dépistage.
…Mais peu de données européennes
La frilosité de l’Europe s’explique notamment par l’absence d’essais randomisés de grande ampleur venant étayer le bénéfice du dépistage sur la population européenne. À ce jour, les trois études européennes disponibles sont en effet toutes négatives, « probablement faute d’effectifs suffisants pour conclure », explique le Dr Milleron.
Les résultats d’une étude belgo-hollandaise de plus grande envergure (Nelson) sur 15?000 volontaires sont attendus pour fin 2015, « mais cette étude n’aura de toute manière pas la même puissance statistique que l’étude NLST et ne devrait donc pas bouleverser les choses quels que soient ses résultats ». Et, globalement, « dans les dix ans à venir, aucun autre résultat intéressant n’est à attendre ».
Les faux positifs, un faux problème ?
Au-delà de ce manque de données spécifiques à l’Europe, le spectre du surdiagnostic et la crainte des faux positifs (estimés à 25 % dans l’étude NLST) expliquent aussi les réserves de certains vis-à-vis du dépistage. Sur ce point, deux études publiées en 2014 et présentées par le Dr Milleron lors du congrès sont plutôt encourageantes. La première est une réanalyse des données de l’essai NLST. Parue dans la revue Radiology, elle montre qu’une augmentation du seuil retenu pour considérer un nodule comme suspect (de 4 à 7 mm par exemple) permet de limiter les explorations complémentaires (et notamment la répétition des scanners) sans pour autant retarder de façon importante les diagnostics. Une étude du Lancet Oncology suggère, quant à elle, que la prise en compte du volume et du temps de doublement des nodules, plutôt que de leur taille, améliore la spécificité du dépistage sans impacter sa sensibilité.
À plus long terme, l’utilisation de biomarqueurs sanguins, en complément du scanner pourrait aussi être contributive en guidant l’exploration des nodules suspects détectés en TDM. Une étude italienne a ainsi montré que le couplage scanner/dosage des micro-ARN plasmatiques rabaisse le taux de faux positifs à 3,7 % contre 19,4 % avec le scanner seul. « Mais cela reste du domaine de la recherche », insiste le Dr Milleron.
Impact plutôt bénéfique sur le tabagisme
L’impact du dépistage sur le tabagisme pose aussi question. Pour certains, les patients se sentant protégés pourraient en « profiter » pour continuer à fumer si le dépistage ne retrouve aucune anomalie suspecte. Des données d’une étude danoise (DLCST) publiée en 2014 montre une réalité inverse, puisque dans cette série, le nombre d’anciens fumeurs augmente d’années en années que les sujets soient dans le groupe témoin ou dans le bras scanner. En d’autres termes, « le simple fait d’être dans un programme de dépistage diminue le tabagisme », résume le Dr Milleron. Un autre travail issu de l’étude NLST montre que ce bénéfice se poursuit même à distance du dépistage. Pour autant, «?toute proposition de dépistage devra impérativement être associée à une incitation au sevrage ».
Enfin, concernant les effets psychologiques du dépistage, la littérature récente est là encore plutôt rassurante. Des données de suivi de l’étude DLCTS retrouvent une augmentation de l’anxiété, des troubles du comportement ou encore de l’insomnie, mais ceux-ci surviennent davantage dans le groupe contrôle que dans le groupe scanner, « comme si les gens étaient finalement rassurés d’avoir des scanners »…
L’écueil du dépistage sauvage
Sensibilisés à la question par la médiatisation de l’étude NLST, les patients fumeurs seraient d’ailleurs de plus en plus nombreux à souhaiter bénéficier d’un scanner de dépistage. Avec, à la clé, des dépistages individuels « sauvages » pas toujours réalisés dans de bonnes conditions. Dans ce contexte, « si j’étais décideur, je proposerais un dépistage organisé », conclut le Dr Milleron. Tout en sachant que le sujet fait débat et qu’il reste de nombreuses questions en suspens…
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