Les consultations de médecine générale deviennent de plus en plus complexes

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Publié le 21/11/2025
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La multimorbidité augmente, les recommandations se multiplient, l’attente pour les spécialistes s’allonge : autant de facteurs qui rendent aujourd’hui les consultations de médecine générale particulièrement délicates et chronophages.

Les médecins de famille voient se multiplier les prises en charge multifacettes, intensives ou plus longues

Les médecins de famille voient se multiplier les prises en charge multifacettes, intensives ou plus longues
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Les consultations des médecins généralistes se complexifient depuis plusieurs années. « Quand j’ai commencé ma carrière, 20 % de mes patients étaient sous traitement, aujourd’hui c’est 50 % », témoigne le Dr Steve Taylor, généraliste au Royaume-Uni depuis près de trente ans, dans un article du British Medical Journal, qui explore les causes de ce phénomène.

Un récent consensus a, en 2021, défini les consultations complexes comme « celles qui sont plus dures à conduire, multifacettes, intensives ou plus longues qu’en moyenne ». Parmi les facteurs impliqués, on distingue ceux associés aux patients (douleurs chroniques, sans-abri, mésusage de substances) et ceux liés aux consultations (précédant une hospitalisation d’urgence, plusieurs prescriptions distinctes).

Mais dans l’article britannique, les principaux éléments qui ressortent sont autres : dégradation de l’état de santé des populations, en particulier plus jeunes, poids que l’organisation des soins fait reposer sur les généralistes. Des situations qui font écho aux problématiques retrouvées en France.

Augmentation de la multimorbidité

Premier élément, l’état de santé des patients s’aggrave et la multimorbidité augmente à tous les étages de la pyramide des âges. Au Royaume-Uni, en 2005, 23 % des patients avaient deux pathologies sévères ou plus ; en 2019, le taux se hisse à 32 %. De plus en plus d’enfants et de jeunes adultes sont touchés par des maladies chroniques ou aiguës qui, auparavant, étaient l’apanage des patients âgés. « Je souscris totalement à ce qui est évoqué dans cet article, commente le Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale (CMG). L’augmentation de la multimorbidité dans l’ensemble de la population est au premier plan de la complexité des consultations. »

En France, un rapport de l’Académie de médecine de 2018 sur le rôle du médecin généraliste s’en faisait déjà l’écho, citant l’Assurance-maladie en 2014 : « Les combinaisons de pathologies chroniques pour un même patient sont plus fréquentes. Ces situations conduisent à une augmentation de la prévalence des patients ayant une multimorbidité associée à un risque de perte d’autonomie et à une vulnérabilité sur le plan social. »

Trop de recos, trop de prévention…

Second argument, les recommandations de prise en charge se multiplient. Le temps nécessaire pour se tenir informé augmente, ainsi que celui pour prendre en charge les patients selon les bonnes pratiques. Pour le Pr Frappé, c’est un point à retravailler. « La science s’étoffe chaque jour mais nous devrions nous interroger : même si une intervention thérapeutique est prouvée meilleure qu’une autre, la complexité qui en découle est-elle nécessaire ? » Le président du CMG souhaite que les conséquences sur le changement organisationnel soient évaluées. « Si nous ne sommes pas dans un rapport d’efficacité d’un par deux, l’utilité d’un traitement face à la difficulté organisationnelle peut se discuter, défend-il. Ce n’est pas parce qu’une intervention est prouvée scientifiquement qu’il faut la mettre en place. »

Se tenir informé demande de plus en plus de temps, ainsi que prendre en charge les patients selon les bonnes pratiques

À cela s’ajoutent les programmes de prévention, pourtant louables. L’article cite une analyse publiée le 21 janvier 2025 dans le British Medical Journal expliquant que « les soins primaires sont de plus en plus sollicités pour prévenir les maladies chez les populations à faible risque qui, parfois, constituent la majorité de la population. Un risque de base plus faible entraîne une augmentation du nombre de patients à dépister et à traiter, qui peut aller de quelques centaines à l'infini… Ces interventions continuent de se multiplier, s'inscrivant dans une prolifération des recommandations. » Les auteurs ajoutent : « Par exemple, si les directives européennes étaient appliquées à l'ensemble de la population, plus de 80 % des adultes devraient consulter leur médecin généraliste afin de réduire leur risque cardiovasculaire. » Un besoin qui excéderait largement les capacités des médecins actuellement en exercice.

Pour le Pr Frappé, « même sans multiples pathologies, un patient peut être complexe par les risques auxquels il est exposé : travail, violences intrafamiliales, etc. Les médecins ne sont pas équipés pour proposer des interventions de prévention de manière exhaustive. Ils doivent prioriser et ils se concentrent souvent sur les “blockbusters”, comme le cancer. »

Moins de spécialistes et de lits d’hôpitaux

Le manque chronique de spécialistes influe aussi sur les consultations de médecine générale. Alors que les listes d’attente des premiers s’allongent, les généralistes se trouvent forcés d’étendre leur champ de compétences. Il est en effet fréquent que des complications émergent avant que les patients n’arrivent devant le spécialiste. Il en va de même pour le secteur hospitalier : les durées d’hospitalisation raccourcissent mais les patients ont toujours besoin de soins. Les généralistes se trouvent ainsi submergés par des responsabilités supplémentaires.

Les outils numériques vont aider les généralistes à articuler les informations médicales d’un patient

Pr Paul Frappé

D’après l’auteur de l’article, l’une des solutions serait d’allonger le temps de consultation (et donc d’augmenter le nombre de généralistes). Le Pr Frappé nuance. « La durée de la consultation est complètement décorrélée de la satisfaction du patient. Ce qu’il faut, c’est que le patient se sente écouté, quelle que soit la durée du rendez-vous. »

Pour le généraliste français, l’usage des outils numériques permet d’alléger la charge mentale, organisationnelle et administrative du médecin. Ils simplifient l’accès à l'information médicale tant pour le patient (fiabilité) que pour le praticien (résultats d’examens complémentaires). Ils présentent aussi un potentiel face à la multiplicité de recommandations de bonne pratique. Dans ce contexte, « les outils numériques vont aider les généralistes à articuler les informations médicales d’un patient, à réaliser une sorte de tableau de bord individuel, à extraire les informations pertinentes et les priorités parmi tous les documents disponibles ».

(1) J. Best, BMJ 2025;391:r1829
(2) S. Martin et al., BMJ 2025;388:e080811


Source : Le Quotidien du Médecin