Révolution ou révolution ? Pour la première fois, des maladies génétiques sont en passe d’être guéries. Les thérapies géniques depuis si longtemps promises ouvrent une révolution thérapeutique. Outre l’amyotrophie spinale, les patients hémophiles devraient voir leur qualité de vie se transformer grâce à une seule perfusion intraveineuse de moins d’une heure. « Toutes ces remarquables avancées [...] vont modifier rapidement et de façon durable le parcours de santé et le parcours de vie des patients dont l’espérance de vie n’était que d’une dizaine de vies au début du XXe siècle », peut-on lire dans un document de la HAS1. La bêta thalassémie (BT), la mucoviscidose bénéficient également d’avancées majeures. Faut-il parler d’un avenir radieux ? Leurs coûts élevés soulèvent pourtant de nombreuses protestations. Et ouvrent un second front, économique cette fois. Faut-il révolutionner le mode de fixation des prix des médicaments, voire transformer le statut des entreprises du médicament ? Révolution dans la révolution.
Débat de spécialistes
Ce débat, aux lourdes conséquences, n’a pas encore franchi le cercle restreint des spécialistes alors que le prix des médicaments dans le cancer a provoqué de nombreuses controverses. Certes l’AFM a organisé un colloque parlementaire sur cette thématique en automne dernier. Mais la presse grand public n’en a pas repris les conclusions. Les enjeux seraient-ils trop techniques ? Ils soulèvent pourtant des questions de souveraineté. Et ne concernent pas seulement quelques maladies très rares. Pour les seules thérapies géniques, 30 à 60 produits sont attendus dans les dix prochaines années, selon le Pr Alain Fischer2. Dans ce domaine, les bonnes nouvelles se succèdent aux bonnes nouvelles. Le 2 juin dernier, une équipe du Généthon associée à une biotech américaine acquise par Roche, Spark Therapeutics, ont annoncé la possibilité sur des modèles animaux d’inhiber la réponse immunitaire liée à l’introduction de vecteurs viraux. En cas de confirmation chez l’Homme, un nombre encore plus important de patients serait donc éligible aux thérapies géniques. Un grand pas pour l’humanité mais aussi une catastrophe annoncée pour l’assurance maladie ? Les avis divergent. Pour le Comité économique des produits de santé (CEPS), jusqu’à présent, tout va bien. La situation est sous contrôle. Jusqu’à quand ? Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS brandit toutefois la menace d’une arme de dissuasion, celle du recours à l’appel d’offres si la situation dérape. « C’est un moyen radical de faire baisser les prix. Ce n’est pas à ce jour la philosophie du CEPS, ni sa mission. » Quant à la HAS, elle a modifié ses règles d’évaluation afin de répondre au cas particulier des thérapies géniques. « Nous sommes confrontés à des études menées rapidement, non comparatives avec un petit effectif avec un protocole non conventionnel, précise le Pr Christian Thuillez, président de la Commission de la transparence. Nous demandons, a minima, de disposer dans ce dernier cas de comparaisons externes. Avec un médicament innovant, cette comparaison est possible. Elle ne l’est pas toujours dans les thérapies géniques. Nos exigences sont donc moins fortes, notamment concernant le niveau de preuves. La réalisation de phase II est toutefois un prérequis. Nous prenons là un risque certain. Rappelons que 50 % des phases III ne retrouvent pas l’efficacité retrouvée dans les phases II. »
Inflation des coûts
À ce stade, les institutions réglementaires affirment absorber le choc sans trop de dommages. Mais pour autant, comment en est-on arrivé à cette inflation des coûts des traitements ? La boule de neige qui grossit en dévalant la pente peut être aisément décrite. Aujourd’hui, les biotechs réalisent l’essentiel de la recherche menée dans le champ des maladies rares. Elles n’ont toutefois pas les moyens pour mettre en œuvre les phases de développement clinique. Comme dans le même temps, les big pharma ont externalisé leur processus de recherche & développement, le rachat de produits ou de sociétés s’avère inévitable. Avec pour conséquence la montée des prix du fait d’une forte concurrence entre laboratoires. « 2019 a été une année record en raison des opérations dans le secteur pharmaceutique. Les prochains mois seront sans doute synonymes de mégafusions pour les biotechs et les medtechs. Les opportunités émergeront également dans le domaine de la thérapie cellulaire et génétique », pronostiquait Virginie Lefebvre-Dutilleul (EY).
Accords conclus
La pandémie au cours de ce premier semestre a bouleversé la donne. Toutefois certains accords ont bien été conclus au cours de la période. Gilead a acquis en avril dernier la biotech Forty Seven qui a développé le magrolimab, un anticorps dirigé contre le CD47. Des résultats prometteurs ont été présentés lors de la dernière édition de l’ASCO (Cf. aussi pages I à III) dans le syndrome myélodysplasique et la leucémie aiguë myéloïde. Le coût d’achat s’est élevé à 4,9 milliards de dollars avec une prime de 96 % par rapport au cours de l’action la veille de l’annonce de l’achat. Les laboratoires français sont aussi dans la course. Ipsen a acquis en avril 2019 Clementia Pharmaceuticals et son produit en développement, palovarotène. Le 26 mars dernier, Ipsen a d’ailleurs annoncé la reprise avec cette molécule d’un essai chez les patients âgés de 14 ans et plus atteints de fibrodysplasie ossifiante progressive. Même si le montant de l’achat n’a pas été divulgué, on serait loin des 8,9 milliards de dollars déboursés par Novartis pour racheter AveXis et commercialiser le médicament le plus cher au monde (Cf. p 13). Pour expliquer ce prix, outre l’amyotrophie spinale proximale, la biotech américaine « a lancé des programmes de développement dans la maladie de Rett et la sclérose latérale amyotrophique », explique-t-on chez Novartis. Faut-il alors qualifier de bulle spéculative le rachat d’Audentes par Astellas en décembre dernier ? « On ne peut savoir aujourd’hui ce qui relève de la spéculation ou du bon investissement, rétorque Pierre Bentata (Asteres). C’est ce qui s’est passé avec la bulle Internet. La réponse sera donnée plus tard. Les investisseurs ont été trop optimistes, trop tôt. Les laboratoires souhaitent obtenir des prix élevés afin de rassurer les investisseurs privés. Les marchés financiers ont ainsi manifesté leur déception lorsque le laboratoire Bluebird a signé un accord avec les autorités allemandes pour un montant de 1,3 million d’euros par traitement au lieu des 2 millions escomptés. »
Nouveau modèle économique ?
Au-delà de l’effet boursier, avec ses prix encore inimaginables il y a quelques années, les systèmes de protection sont-ils en état d’absorber le choc ? Le professeur au Collège de France, Alain Fischer entend proposer un nouveau modèle. Après une tribune publiée dans Nature Medicine en novembre dernier, le spécialiste de thérapie génique associé à deux économistes belges suggèrent un traitement de choc, l’adoption du statut de « benefit corporation » lié notamment à la pratique de prix raisonnables. Danone, un laboratoire pharmaceutique italien devraient se voir accorder ce statut.
Pierre Bentata suggère plutôt un alignement sur les pratiques commerciales défendues par certaines sociétés informatiques. L’État négocierait un accord de licence pour une durée déterminée. La conséquence serait une déconnexion entre le coût consenti aux laboratoires et le nombre de patients traités.
Nouvelle filière à inventer ?
Au Généthon, aux réponses seulement économiques, on suggère plutôt une rupture technologique. Les coûts de production sont en effet très (trop) élevés. Une nouvelle filière bio-industrielle, à inventer, aurait pour vocation de fluidifier les processus de production de thérapie génique encore très lourds.
Au Leem enfin, plusieurs propositions sont sur la table et en premier lieu une forme de crédit. Les dépenses seraient étalées sur plusieurs années au lieu d’une seule. Mais ce dispositif se heurte à la loi de financement de la Sécurité sociale qui doit être votée chaque année par le Parlement. Un fonds d’investissement pluriannuel serait par ailleurs dédié au financement des innovations de rupture. Enfin, « des contrats de gestion de l’incertitude » conditionneraient les prix aux performances observées dans la vraie vie.
Quelle(s) que soi(en)t les idées retenue(s), il faudra au final fixer un prix ni trop bas qui découragerait les industriels d’investir, ni trop élevé fragilisant les systèmes de protection sociale européens. Au sortir d’une pandémie, un tel programme est-il réaliste ? Vous avez dit révolution ? •
1. Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) hémophilie (2019).
2. L’innovation thérapeutique, à quel prix, médecine/sciences 2020, 36 389-93.
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