LE QUOTIDIEN : Vous avez pour projet de fabriquer des muscles. Pourquoi ?
BRUNO CADOT : Depuis plusieurs années, mes recherches portent sur le muscle, principalement à travers des modèles in vitro en deux dimensions qui ne reproduisent toutefois pas fidèlement les conditions in vivo. Pour pallier cette limite, j’ai orienté mes travaux vers des systèmes en trois dimensions (3D), plus représentatifs de la réalité physiologique, afin d’étudier les fibres musculaires dans un environnement plus proche de leur contexte naturel.
Dans le cadre d’une collaboration avec des chercheurs du laboratoire de chimie de la matière condensée de Paris, ces derniers m’ont présenté une structure de collagène qui ressemblait fortement à celle du muscle. En effet, cette structure sert en temps normal d’un support ou patron dans lequel les cellules se différencient et forment un muscle. De là est parti mon projet de bio-ingénierie musculaire.
Car le muscle est un des seuls organes qui ne peut pas être transplanté d’un humain à un autre du fait de sa dépendance étroite avec le système immunitaire. À ce jour, les seules greffes musculaires – rarement – réalisées sont des autogreffes. Par exemple, celle d’un muscle de l’arrière de la cuisse greffé dans le visage au niveau de la mâchoire pour restaurer l’expression faciale. Mais cela ne concerne que quelques muscles, plutôt petits, au terme d’une opération lourde et de beaucoup de rééducation.
Que souhaitez-vous faire de ces muscles ?
En cas d’accident ou de maladie, le muscle ne pouvant faire l’objet d’une allogreffe – et les recherches sur la régénération n’ayant pas encore porté leurs fruits – les personnes touchées doivent vivre sans un muscle fonctionnel et sain. C’est pourquoi nous avons décidé, avec mes collaborateurs, de porter ce projet de fabrication de muscle grâce à une matrice de collagène jusqu’aux essais cliniques chez l’humain.
Nous avons ainsi répondu à l’appel à projets d’une agence fédérale allemande pour l’innovation qui nous a donné huit mois pour faire la preuve de concept chez la souris. Nous avons greffé un patron de collagène à la place d’un muscle chez des souris puis avons injecté une solution à base de cellules primaires humaines (cellules musculaires, endothéliales, etc.). Au bout de deux mois de surveillance, forts des résultats prometteurs de ces greffes, nous avons conclu que nous pourrions aller encore plus loin et lancer des essais cliniques chez l’humain dans quelques années.
Le premier muscle que nous essaierons de fabriquer chez l’humain sera celui du pouce, ou plus précisément les six muscles qui composent le pouce. C’est un membre essentiel pour les patients en fauteuil roulant qui en ont besoin pour bouger le joystick de commande et récupérer la préhension. Chez ces malades, nous injecterons dans la matrice de collagène (issue du veau) des cellules souches pluripotentes induites (iPS) allogéniques, qui matchent avec le profil immun du patient et qui sont à très faible risque de rejet. Cette technique devrait ainsi permettre de fabriquer un muscle sain chez des personnes porteuses de mutations. Nous serons capables, par la suite, de remplacer des muscles chez des personnes ayant subi un traumatisme grave, par exemple à la suite d’un accident, d’une chirurgie invasive ou d’une blessure sur un champ de bataille. Les recherches menées à l’heure actuelle dans différents domaines, tels que les reconstructions osseuses, tendineuses et vasculaires, nous laissent imaginer que dans 15 à 20 ans nous serions même capables de fabriquer des membres complets. Pourquoi pas ?
Quel serait le principal risque d’échec ?
Notre approche consiste à assembler toutes les briques de départ d’un système qui va se construire seul par la suite, ce n’est pas un organe déjà tout fait. Une fois que les cellules seront injectées dans la matrice, elles vont s’organiser, se différencier et se multiplier, et là c’est un vrai organe.
Le principal risque d’échec serait de ne pas injecter assez de cellules pour remplir toute la matrice ou alors qu’il y en ait trop qui meurent, car le muscle ne se formerait pas. Normalement il n’y aura pas de risque de rejet, mais ce n’est pas certain à 100 %, les études sur les iPS allogéniques n’étant pas terminées.
Nous voulons permettre aux patients de récupérer de l’autonomie, c’est notre objectif. En pratique, par la suite, il faut s’attendre à ce que certains muscles soient compliqués à greffer, car situés derrière d’autres, ou trop gros, comme le fessier pour lequel il faudrait un nombre monumental de cellules. Mais nous ne serons pas obligés de fabriquer tout un muscle d’un coup ; dans beaucoup de cas nous pourrons partir d’un muscle partiellement lésé et nous pourrons le réparer en reconstruisant seulement une partie.
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