Comment améliorer la prise en charge des pneumonies sévères ? La piste du microbiome pulmonaire est explorée par le projet de recherche Phenomenon, porté par les Prs Antoine Roquilly (CHU de Nantes) et Jean-François Timsit (hôpital Bichat, AP-HP) avec le soutien du fonds MSD Avenir.
Environ 500 000 personnes atteintes de pneumonie sévère sont hospitalisées chaque année en France. Parmi elles, 30 % sont en échec thérapeutique avec une mortalité très élevée, notamment lorsqu’elles sont intubées. « Ces échecs sont documentés depuis une trentaine d’années, ce qui nous oblige à réévaluer les options de traitement », explique le Pr Antoine Roquilly, du service d’anesthésie-réanimation du CHU de Nantes et chercheur Inserm-UMR 1064-CR2TI.
« Le projet Phenomenon consiste à challenger le concept de poumon stérile avant la pneumonie : trouver les génomes bactériens dont la disparition, au moment de l’infection, est associée aux échecs de traitement puis établir un continuum du microbiome depuis les cordes vocales jusqu’aux poumons », ajoute le spécialiste. Au-delà de la présence de bactéries pathogènes, la composition du microbiome pulmonaire joue sur la sévérité de la pneumonie.
Le projet européen HAP2 (1) a déjà ouvert cette nouvelle piste de recherche. Et une étude parue en novembre dernier dans la revue Nature Medicine (2), signée notamment par le Pr Roquilly et incluant les données de plusieurs milliers de patients atteints de pneumonie sévère, va plus loin. « Elle décrit la signature du microbiome associée aux pneumonies et à leur forme sévère, le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). La nouveauté est de démontrer l'importance de l'éradication de la flore commensale, dont le rôle semble plus important que la présence du pathogène », précise le spécialiste.
Injecter des bactéries pour traiter une pneumonie ?
Dans cette lignée, le projet Phenomenon s’intéresse à l’homéostasie pulmonaire et non plus aux seules bactéries pathogènes, afin de mettre à jour de nouveaux protocoles thérapeutiques. « Les données de modulation du microbiome, notamment la colonisation par des streptocoques commensaux, sont la suite de ce projet, mais ces données ne sont pas encore publiées », souligne le Pr Roquilly.
Injecter des bactéries pour traiter une pneumonie : cette piste n’est plus de la science-fiction. « Chez la souris, le microbiome est très modifié après colonisation par Streptococcus mitis, notamment grâce à la modulation du processus de phagocytose. Mais tous les patients ne répondront pas au même traitement probiotique, d’où l’utilité de la médecine de précision », poursuit-il.
Pour mesurer les relations hôte-microbiome dès le début de l’infection, des prélèvements au lit du patient seront effectués afin de caractériser son microbiome pulmonaire par séquençage et sans avoir à mettre en culture in vitro les bactéries d’intérêt. Cela permettra de mesurer en temps réel l’efficacité de l’antibiothérapie en cours et de ne pas attendre la fin du traitement pour le modifier si nécessaire. Une première.
En réanimation, la résistance aux antibiotiques courants est élevée, jusqu’à 30 %.
Concernant la recherche sur les probiotiques, « elle a toujours visé le microbiote digestif (par exemple Lactobacillus) et a donné des résultats négatifs. Notre originalité est de cibler le microbiote respiratoire et donc de développer des probiotiques spécifiques du poumon », ajoutait le Pr Roquilly. Le plus difficile sera de trouver quels probiotiques, comme le montraient les résultats d’une étude publiée dans le Jama en 2021 (3).
Une nouvelle approche de l’antibiorésistance
« Les pneumonies nosocomiales sont très fréquentes et associées à une mortalité élevée. Les patients intubés et sous ventilation mécanique sont particulièrement concernés. C’est la première cause d’utilisation d’antibiotiques en milieu de soins critiques », rappelle le Pr Jean-François Timsit, chef du service de médecine intensive et réanimation infectieuse, hôpital Bichat (AP-HP) et chercheur Inserm U 1137.
Si la bactérie Staphylococcus aureus est en cause dans 20 % des cas, de nombreuses autres bactéries sont impliquées : Streptococcus pneumoniae, Hæmophilus influenzae de type B ou encore Mycoplasma pneumoniae. Pour ces malades, la résistance aux traitements antibiotiques habituels (céphalosporines de 3e génération et carbapénèmes) est très élevée et problématique, jusqu’à 30 %. « Ce mécanisme de résistance est associé à une prescription massive d’antibiotiques à large spectre. Leur consommation est multipliée par quatre chez les patients colonisés par un Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM). Mais l’éradication microbiologique in fine est atteinte seulement dans 44 à 70 % des cas », précise le Pr Timsit.
La France est toujours la championne d’Europe en matière de prescription d’antibiotiques, une surprescription qui entraîne des infections difficiles à traiter. L’antibiothérapie trop large peut également être associée à une surmortalité : elle élimine aussi des bactéries qui équilibraient le microbiome pulmonaire, ce qui augmente la dysbiose et le risque de mauvais pronostic.
Le concept de résistome comprend l’ensemble des gènes de résistance aux antibiotiques, y compris ceux associés aux bactéries commensales
« Le projet Phenomenon propose une nouvelle approche : faire des cohortes de patients pour identifier nos bactéries amies/ennemies dans la pneumopathie. Le principe de prise en charge sera le suivant : diagnostic clinique, prélèvement au lit des malades, début de traitement empirique sur la base des germes présumés et désescalade vers la durée de traitement la plus courte possible », indique le Pr Timsit. Réduire la durée (cinq jours d’antibiothérapie versus huit) permet en effet de réduire la résistance et les effets indésirables, avec moins de dysbiose et moins de récidives.
Le concept de résistome (4) est l’un des points centraux du projet, car il permet de mieux comprendre la résistance aux antibiotiques, comme l’explique le Pr Étienne Ruppé, laboratoire de bactériologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP) : « Les bactéries commensales de nos microbiotes possèdent une grande diversité de gènes de résistance aux antibiotiques. Ceux-ci sont différents de ceux observés chez les bactéries pathogènes. Pour les caractériser, des outils spécifiques (bases de données, structure tridimensionnelle) sont nécessaires. Ces gènes de résistance aux antibiotiques pourraient protéger les bactéries commensales lors d'une exposition aux antibiotiques, ou fournir un arsenal de gènes de résistance à certains pathogènes ».
Soutien de MSD à hauteur de 1,6 million d’euros
« Phenomenon est une illustration typique des projets que nous aimons soutenir : des projets à risque qui pourraient ne pas déboucher immédiatement sur des résultats positifs, des projets indispensables pour faire avancer la science. C’est l’un des effets de la recherche fondamentale d’offrir des réponses rapides au lit du patient », souligne le Dr Dominique Blazy, président du conseil scientifique de MSD Avenir. « MSD est présent dans le domaine de l’infectiologie depuis plus de 130 ans, d’où l’évidence de notre soutien à hauteur de 1,6 million d’euros au projet Phenomenon », indique de son côté le Dr Golriz Pahlavan, directrice médicale de MSD France. Depuis sa création en 2015, le fonds MSD Avenir a soutenu 370 chercheurs en France, sur des projets de recherche donnant lieu à 490 publications scientifiques, pour un montant total de 117 millions d’euros.
2 - E. Montassier et al., Nat Med, 2023, 29(11): 2793–2804
3 - J. Johnstone et al., Jama. 2021;326(11):1024-1033. doi:10.1001/jama.2021.13355
4 - https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/jni/2020/com/jni2020-st13-…
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