Pr Pierre Denise (SpaceMed) : « Le nombre d’astronautes va augmenter, il leur faudra un suivi médical »

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Publié le 16/05/2025
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En septembre 2024, le master européen SpaceMed a accueilli ses premiers étudiants, des médecins, ingénieurs ou chercheurs qui souhaitent se former à la physiologie et à la médecine dans les environnements extrêmes et l’espace. Le Pr Pierre Denise revient sur la genèse de cette formation dont il est le coordinateur.

Le Pr Pierre Denise (à droite) avec des membres du master

Le Pr Pierre Denise (à droite) avec des membres du master
Crédit photo : COMETE

LE QUOTIDIEN : Pourquoi créer une formation à la physiologie et à la médecine dans les environnements extrêmes et l’espace ?

Pr PIERRE DENISE : La création du master SpaceMed répond à une demande de formation spécifique à la physiologie et à la médecine spatiales. Ébauché dès 2021, le projet est né après confirmation par les laboratoires de recherche et les agences spatiales d’un besoin de chercheurs. Ce sont ces profils que nous ciblions initialement.

Mais de façon surprenante, lors de la sélection des candidats de la première promotion, beaucoup de médecins et d’ingénieurs se sont présentés. Des profils également rares et demandés. En effet, si aujourd’hui nous comptons environ 150 astronautes professionnels, dans 10 ans ce chiffre pourrait être multiplié par 10. Aux astronautes travaillant pour des agences spatiales se rajouteront des astronautes « commerciaux », c’est-à-dire travaillant pour des entreprises privées. Peut-être est-ce exagéré d’envisager 1 500 astronautes professionnels d’ici à 2035, mais leur nombre va augmenter dans les années à venir et il faudra les encadrer sur le plan médical, de la sélection au suivi. Pour cela, nous devons former de nouveaux médecins. Les ingénieurs spécialisés dans le « support-vie » seront nécessaires pour le développement de dispositifs médicaux utilisables dans les vols spatiaux.

Le master a été co-créé par l’Université de Caen Normandie, la Charité-Universitätsmedizin Berlin (Allemagne) et l’Institut de recherche Jožef Stefan (Slovénie) sous l’égide de l’Union européenne – dont nous avons bénéficié de financements – et avec la participation de partenaires tels que des universités internationales ou encore le Centre national d’études spatiales (Cnes). Mettre en place un tel master est quasiment impossible en un seul lieu tant les compétences requises sont variées. Par exemple, une formation existait au King’s College de Londres (Royaume-Uni), mais elle a dû fermer en raison du coût des nombreux intervenants extérieurs.

Il y a encore beaucoup à découvrir et à construire dans la physiologie et la médecine spatiales. Comment avez-vous conçu le programme du master ?

Si nous en savons suffisamment pour remplir un enseignement, la médecine et la physiologie spatiales sont tout de même des champs de connaissances bien loin d’être figés. Il faudra adapter notre maquette au fil du temps. Nous pouvons par exemple citer un point qui inquiète beaucoup les scientifiques : les altérations oculaires retrouvées chez les astronautes à leur retour sur Terre. Découverte il y a une dizaine d’années seulement, la physiopathologie reste tout à fait inconnue. Je pense que les heures de cours dédiées à ce point seront revues chaque année !

Nous sommes actuellement à deux promotions sélectionnées, la première étant celle de 2024-2026 et la deuxième celle de 2025-2027. Nous y retrouvons environ 25 % de médecins, presque 20 % d’ingénieurs et le reste de chercheurs.

Mettre en place un tel master est quasiment impossible en un seul lieu

Concernant le master, le premier semestre se déroule à Caen et se concentre sur les notions de base de la physiologie générale, de la physiologie des milieux extrêmes et de la physiologie spatiale. Des projets de travaux pratiques et des cours thématiques sont dispensés, avec une semaine dédiée aux vols spatiaux marquée par l’intervention d’astronautes ou encore des expérimentations dans des simulateurs. Des cours d’éthique sont aussi consacrés à la question des recherches et interventions menées sur l’humain.

Le deuxième semestre se déroule à Berlin avec pour objectif de développer des compétences dans des domaines thématiques. Les étudiants ont ainsi accès à des installations techniques avancées telles qu’une chambre climatique, afin d’étudier la physiologie de la régulation thermique extrême.

Puis au troisième trimestre, les élèves se rendent en Slovénie et s’immergent sur le terrain dans des grottes, qui servent de lieu d’entraînement aux astronautes européens, en altitude, en plongée… Ils réalisent aussi des expérimentations dans une structure unique en Europe qui permet, avec le décubitus en hypoxie, de reproduire les effets d’un séjour dans l’espace, notamment cardiovasculaires et vestibulaires. Un module important puisque les futures stations lunaires seront plongées en hypoxie pour faciliter les conditions de vie. Enfin, le quatrième semestre sera un stage de six mois de recherche ou de pratique, selon les appétences.

Qu’apportera cette formation à la population générale ?

Les retombées de toutes ces recherches bénéficieront à la science, d’un point de vue technique et des connaissances. Par exemple un écho-doppler avec une intelligence artificielle incorporée, développé dans nos laboratoires, partira au printemps 2026 sur la station spatiale internationale (ISS) avec l’astronaute et ingénieure Sophie Adenot. Si cet appareil vient tout d’abord répondre à des besoins médicaux inhérents aux voyages spatiaux – le besoin d’autonomie – il est certain qu’il profitera aux personnes sur Terre par la suite. De manière plus générale, connaître la physiologie spatiale permet d’en apprendre plus sur la physiologie terrestre. Les patients souffrant de troubles vestibulaires bilatéraux présentent des similitudes avec les astronautes qui rentrent sur Terre. Trouver des solutions pour les patients sur Terre nous permet de mieux comprendre les astronautes, et inversement.

Enfin, la formation répond à un autre aspect de la croissance du secteur : le tourisme spatial. Un vol, qu’il soit parabolique, suborbital ou spatial, comporte toujours des risques. Or nos connaissances sur les paramètres de santé se sont construites grâce à l’étude d’astronautes, des professionnels sélectionnés, formés, entraînés et suivis de près. Les protocoles sanitaires appliqués jusque-là ne conviendront pas tout à fait aux touristes spatiaux. Tout cela dépend des pays, mais en Europe et donc en France, il faudra un certificat d’aptitude pour participer à des vols spatiaux, comme cela est obligatoire aujourd’hui pour un vol parabolique. Il nous reste à définir ce qu’il faudrait y mettre et la recherche sera nécessaire pour établir des recommandations sur la sélection et le suivi des touristes, notamment pour des voyages spatiaux de plusieurs jours. Il n’y aura pas besoin de milliers de médecins, mais il faut réfléchir à ces questions.

Propos recueillis par Juliette Dunglas

Source : Le Quotidien du Médecin