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Dossier

Santé environnementale : comment peut-on modifier ses pratiques ?

Par Aurélie Dureuil - Publié le 04/10/2024
Santé environnementale : comment peut-on modifier ses pratiques ?

La moitié de l’empreinte carbone du secteur de la santé est liée aux médicaments et dispositifs médicaux
GARO/PHANIE

Feuille de route santé environnementale de la Haute Autorité de santé, sobriété de la prescription inscrite dans la convention médicale, initiatives des sociétés savantes… La sensibilisation aux enjeux du changement climatique dans la prise en charge médicale se renforce. Mais comment cela se traduit-il lors des consultations ? Comment et jusqu’où faire évoluer ses pratiques ?

Chaleurs extrêmes, inondations, impact de la pollution sur la santé… Il n’est plus à démontrer que « le changement climatique représente une menace fondamentale pour la santé humaine », comme le martèle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui liste l’augmentation du risque de décès, des maladies non transmissibles, d’émergence et de propagation de maladies infectieuses, et d’urgences sanitaires. Et si les systèmes de santé sont aussi affectés dans leur fonctionnement par le changement climatique, il en est aussi une des causes. Le rapport du Shift Project d’avril 2023 estimait à un équivalent de 50 millions de tonnes de CO2 les émissions du système de santé français, soit plus de 8 % de l’empreinte carbone du pays.Lors du congrès Santé 2050 des Shifters santé fin juin, la Dr Hafsah Hachad, néphrologue à l’AP-HP, a rappelé que l’achat de médicaments et de dispositifs médicaux compte pour la moitié de l’empreinte carbone du secteur. Des actions sur les bâtiments et les déplacements, tant des personnels travaillant dans le secteur que des patients, permettrait une réduction de près de 27 % des émissions. Mais pour aller plus loin, la praticienne a appelé à agir sur les médicaments et dispositifs médicaux : de leur production à leur utilisation en passant par leur conditionnement et leur recyclage/destruction. Plus facile à dire qu’à faire ? Peut-être, mais les choses évoluent, comme l’illustrent les différentes initiatives portées tant par les professionnels de santé que les tutelles et les industriels.

Développer la prévention et le bon usage du médicament

« Dès fin 2021, la HAS avait la volonté d’introduire de nouveaux éléments dans le projet stratégique notamment sur la santé environnementale. Cela s’est concrétisé par la mise en place d’un groupe de travail visant à élaborer une feuille de route contenant 13 actions et adoptée par le collège fin 2023 », témoigne Alexandre Fonty, directeur de cabinet et chargé du pilotage du sujet. Jean Lessi, directeur général de la HAS, renchérit : « La HAS était déjà engagée avec des actions sur la prévention, la pertinence des soins, le bon usage…, des actions intrinsèquement liées à l’environnement comme les recommandations sur la prise en charge des personnes exposées à un polluant ainsi que l’existence d’un critère spécifique pour la certification des établissements de santé. Cette feuille de route montre la volonté d’aller plus loin ». Si l’autorité met en avant la prévention et le bon usage des produits de santé, elle entend renforcer ces actions, notamment en positionnant en première intention « les thérapeutiques non médicamenteuses disposant de données de la littérature de bon niveau de preuve ».

Se questionner, c’est déjà agir sur l’environnement

Dr Jean-Sébastien Cadwallader, généraliste au CMS d’Aubervilliers et membre du groupe du CMG

Des sujets sur lesquels les professionnels de santé s’engagent également. Dans son guide sur la prescription écoresponsable, le groupe santé planétaire du Collège de la médecine générale (CMG) mise notamment sur un « axe préventif renforcé ». « Je ne demande pas aux patients d’avoir une conscience écologique. La première chose est de les sensibiliser à la prévention primaire : ne pas fumer, ni boire de l’alcool, pratiquer une activité physique, travailler sur les comportements alimentaires… Se questionner, c’est déjà agir sur l’environnement », observe le Dr Jean-Sébastien Cadwallader, généraliste au CMS d’Aubervilliers et membre du groupe du CMG. Le guide incite à « prescrire autrement » sur les sujets de l’alimentation, de l’activité physique, de la sociabilisation et de la santé communautaire. Le groupe introduit également une « prescription de nature », soulignant que « passer du temps dans la nature diminue la mortalité et améliore le bien-être mental et physique ». Mais les patients sont-ils prêts à sortir du cabinet de leur médecin traitant avec une prescription les incitant à pratiquer une activité physique ou à organiser des sessions de 20 minutes minimum dans la nature ? Dans son document de propositions sur la prévention primaire en médecine générale, le syndicat Reagjir soulignait en mars 2020 que « le prérequis indispensable au bon déroulement de ces actions (de prévention, ndlr) et à leur résultat est la qualité de la relation soignant-soigné ». La Dr Marie Bonneau, secrétaire générale de l’AMReA du syndicat et généraliste à Saint-Rogatien, pointe les difficultés au quotidien à juste faire appliquer les gestes barrières par les personnes qui viennent consulter, sans masque, pour des symptômes grippaux ou de Covid. Elle cite également la place du travail chez les patients actifs pour qui l’activité physique « n’est pas une priorité ». Au sein du CMS d’Aubervilliers, le Dr Cadwallader a travaillé avec le service de santé publique sur une « prescription sociale », intégrant la prescription d’activité physique, de nature et de musée. « Pour les patients diabétiques, il existait des freins à la pratique d’activité physique : financier, peur du regard des autres… Nous avons mis en place un dispositif de sport sur ordonnance. Avec une prescription, nous les adressons à un éducateur sportif recruté via le service des sports de la ville. Cela crée une communauté autour du sport », témoigne le praticien. Des actions de prévention, qui permettront in fine de réduire les besoins médicaux et donc les traitements, pour s’inscrire dans une démarche écoresponsable, selon les praticiens engagés.

Connaître l’impact environnemental des produits de santé

Sur la production des traitements et leur conditionnement, les industriels communiquent depuis plusieurs mois sur des engagements visant à diminuer l’empreinte carbone. Présenté mi-2023, le plan de décarbonation du syndicat des laboratoires pharmaceutiques (Leem) entend réduire de 50 % les émissions de CO2 entre 2021 et 2030 pour la fabrication de médicaments et de 25 % les émissions indirectes. Le Snitem, qui représente les industriels des dispositifs médicaux, a annoncé en fin d’année dernière la création avec l’Afnor d’un « écoscore », « un outil simple et efficace fondé sur des indicateurs et scoring d’achat sur la décarbonation, la santé environnementale et la qualité de vie au travail, à destination des acheteurs » hospitaliers.

Intégrer des critères liés à l’empreinte carbone dans notre doctrine d’évaluation des produits de santé est complexe

Jean Lessi, directeur général de la HAS

Des éléments qui pourraient demain entrer dans les critères d’évaluation par la HAS ? Le sujet s’avère plus difficile à adresser. « C’est un très grand levier, mais il présente beaucoup de complexité, détaille Alexandre Fonty. Des chercheurs nous ont présenté des modèles économico-climatiques pour l’évaluation des médicaments et nous suivons de près les démarches institutionnelles qui visent à construire une méthodologie d’évaluation fiable et robuste de l’empreinte carbone sur l’ensemble du parcours du médicament pour pouvoir ensuite envisager des comparaisons ». Par ailleurs, Jean Lessi pointe : « Intégrer ces critères dans notre doctrine d’évaluation est complexe. La priorité absolue pour la HAS est la qualité des soins. Entre deux traitements, il faut privilégier celui qui soigne le mieux ». Il rappelle en effet que la HAS délivre des avis sur le service médical rendu en vue d’éclairer les décideurs publics sur un éventuel remboursement, la fixation du prix… « Des travaux sont en cours impliquant la Direction générale des entreprises, la Cnam, la Direction de la Sécurité sociale, la Direction générale de la santé, la Direction générale de l’offre de soins… pour mettre en place des critères et voir à quel moment ils pourraient être intégrés : ils pourraient aussi être utilisés en aval de l’évaluation par la HAS… », ajoute le directeur général.

S’il est encore difficile d’avoir des éléments sur l’impact environnemental de tel ou tel traitement, certains médecins font déjà évoluer leurs pratiques. Dans son guide sur la prescription écoresponsable, le groupe santé planétaire du Collège de la médecine générale préconise par exemple de « passer d’un traitement inhalé de type aérosol à une forme poudre », ce qui permet de limiter les émissions des gaz à effet de serre « sans préjudice pour le contrôle de l’asthme ». L’utilisation raisonnée d’antibiotiques est également mentionnée. Le Dr Jean-Sébastien Cadwallader témoigne : « pour certains traitements, il vaut mieux prendre des comprimés que des solutions injectables. Dans la contraception, on va discuter de la différence entre un dispositif intra utérin sans hormone et une contraception hormonale qui implique la production du médicament, de son emballage… ». Le médecin travaille également sur la déprescription : « en dehors de toute considération de santé planétaire, cela permet d’éviter la surmédicalisation. Mais, l’impact environnemental est un élément supplémentaire pour sensibiliser les patients à la déprescription ». Car, là encore, l’adhésion des patients s’avère cruciale (lire page 13). L’Assurance-maladie a intégré, dans la convention médicale qui entre en application à la fin de l’année, un « dispositif sobriété » « afin d’accompagner la baisse de l’empreinte carbone des médecins conventionnés ». Il s’agit d’informer et sensibiliser les généralistes sur leurs prescriptions de médicaments. Un « bonus sobriété » permettra de « récompenser les médecins les plus vertueux ». Petit à petit la santé planétaire se fait donc une place dans les cabinets.