Le bruit de la fontaine accompagne les premiers pas dans le jardin. Quel bel espace ! Le regard fouille vers le fond et distingue un kiosque. Allons voir… Les couleurs de fleurs interpellent. Au passage, on joue avec les graminées et froisse un peu de sauge entre ses doigts. Le parfum nous accompagne dans un petit chemin plus secret. On peut s’asseoir à l’ombre. Un jardin de maison de campagne ? Non ! Bienvenue au « Jardin de vies » de l’hôpital des Diaconesses, dans l’Est parisien au tissu urbain très dense, établissement réputé pour sa maternité, son unité de soins palliatifs et son centre de fertilité.
Graines plantées
Le projet n’est pas sorti de nulle part. Pour que les graines germent, il faut un bon terreau : c'est une alchimie de personnes et d’idées qui a permis l’émergence de ce jardin exemplaire.
Pour Tatiana Theys, directrice du développement du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon et porteuse du projet, faire le lien entre l’homme et la nature au cœur de la cité est un axe de travail depuis de nombreuses années*. L’exploration et la valorisation de divers usages du jardin en établissement de santé : lien social, ouverture à la ville, expérimentation de voies thérapeutiques complémentaires, résilience au changement climatique en milieu urbain sont au cœur du projet.
Aux Diaconesses, les soins palliatifs et la maternité cohabitent au sein d’un même bâtiment. Cette juxtaposition interpelle Servane Hibon-Marty, paysagiste et maître d’œuvre du jardin qui réfléchit d’emblée à un Jardin de vies, où les saisons de la vie rencontrent celles du jardin. Selon plusieurs études, les patients qui ont vue sur la nature guérissent plus vite. « Les espaces extérieurs deviennent alors de véritables acteurs de soins dans les espaces hospitaliers. Je ne réalise pas un espace vert, mais un jardin, un lieu d’accès à la nature, dans le cadre hospitalier certes, avec ses contraintes, auxquelles on doit répondre mais pas s’y plier », ajuste Servane Hibon-Marty qui, pendant plusieurs mois de concertation, a beaucoup écouté.
« Tous mes malades circulant avec des pieds de perfusion, en fauteuil ou en lit doivent accéder librement au jardin », expose la Dr Laure Copel, cheffe de service des soins palliatifs, qui s’est déjà bagarrée il y a quelques années contre la mise en place d’une porte tourniquet qui empêchait ses patients non valides d’aller au jardin. « Vraiment trop injuste ! Les malades de soins palliatifs, et en particulier les Parisiens, sont enfermés dans leur corps et leurs maladies, et les voilà confinés dans leur chambre ! », plaide-t-elle.
« Pour la préparturiente, les déterminants de la bonne avancée du travail ne sont pas uniquement pharmacologiques, explique le Dr Richard Beddock, chef de service de la maternité. Dans l'unité, tout est fait pour respecter la physiologie de la parturition. La déambulation, de par les sollicitations mécaniques, soulage les douleurs et génère un meilleur déroulement du travail. Quoi de mieux que de la réaliser en milieu naturel en se déplaçant au jardin ? ».
Et côté budget ? « Nous avons eu la chance d’une gouvernance alignée pour qui le projet était un investissement profitable pour tous, se satisfait Tatiana Theys. Assurée par Hospidon, la levée de fonds de 350 000 euros sur trois ans fut l’une de nos meilleures campagnes en termes de portée. Elle a rallié beaucoup de monde : fondations, entreprises mécènes, associations mais aussi particuliers, séduits par la thématique de santé globale One Health ».
Pousses multiples
« Amener le jardin au plus près du bâtiment, tel était mon fil directeur », explique Servane Hibon-Marty. Ainsi, les terrasses de gravier aux fenêtres des malades en soins palliatifs ont été aménagées en favorisant la vue sur les plantes. Des chemins carrossables, clairement identifiés, praticables jusqu’au bout du jardin, ont été réhabilités permettant aux patients alités de sortir.
Çà et là, la pelouse n’est pas fauchée : fleurs et graminées sont à portée de main et les arbres fruitiers en palissade permettent un accès facile à leurs fruits. Tous les sens sont subtilement stimulés : couleurs des fleurs, senteurs des plantes aromatiques (romarin, lavande, sauge, camomille, absinthe et ciboulette) ou du vieux tilleul, doux toucher des feuilles, goût et odeur des framboises, des cassis ou de la citronnelle. Le temps de la visite, une petite fille pousse le fauteuil de son grand-père. Elle s’arrête devant les framboises et en propose à son papy qui les goûte. Les lèvres rouges, ils rient ensemble, petit moment délicieux, plaisir simple, bonheur immense.
Un air de jardin des simples
En clin d'oeil aux jardins des simples (les simples étant le nom donné aux plantes médicinales au Moyen-Âge), plantes d’ornement se mêlent aux comestibles, toutes facilement reconnaissables et nommées, à la manière d’un arboretum, et non d’un jardin de collection trop savant.
Mais tout n’est pas immédiatement visible : « le jardin est grand, il faut susciter la curiosité », révèle Servane Hibon-Marty. Et aussi l'envie de s’y perdre ou s’y cacher, d’oublier que l’on est à l’hôpital.
« Dans des petits lieux plus intimes, les familles se retrouvent, partagent un bon souvenir, même si le moment est difficile. Le jardin apaise les émotions, observe la Dr Laure Copel. En soins palliatifs, notre mission n’est pas uniquement sanitaire (comme la lutte contre la douleur) mais aussi sociétale, en aidant à l’acceptation de la fin de vie et en soutenant les aidants ».
Intimité encore pour cette future maman, qui s’avance sur le « Sentier des 1 000 pas ». À l’abri des regards, il offre à celle qui va donner la vie un accès au cœur du vivant, « où elle pourra mobiliser ses ressources personnelles, marcher un peu, s’asseoir, s’étirer, faire quelques exercices, à son rythme, selon ses envies, avant de revenir en salle de travail, où il règne la même liberté », décrit le Dr Richard Beddock, qui rédige avec son équipe une nouvelle charte de l’éco-maternité.
Une respiration pour les soignants aussi
Une respiration pour les soignants : le jardin est bienfaiteur et relaxant durant les pauses. En temps de Covid, il fut le lieu d'un ressourcement très prisé et de réunions au grand air. Quant à sortir dans le jardin avec les patients, certains soignants sont réticents, pensant qu’il n’est pas opportun de prendre du plaisir dans le cadre du travail. « En accord avec les chefs de service, j’ai guidé la découverte du lieu, d’endroits qu’ils ne connaissaient pas, renouant les liens avec le vivant en chacun de nous, autorisant à se faire du bien même au travail. Le jardin n’est pas dédié uniquement aux patients mais aussi aux soignants, aux proches qui les accompagnent ! », témoigne Servane Hibon-Marty.
Le jardin est également une respiration pour les couples en parcours d’aide médicale à la procération (AMP) au centre de fertilité. Le lieu favorise le lien social avant et après les consultations, pour les femmes et pour les hommes, qui, souvent, attendent leur compagne.
« De nombreux ateliers sont proposés pour accompagner nos patientes, détaille la Dr Gwenola Keromnès, cheffe de service du centre de fertilité. Aux beaux jours, certains se déroulent au jardin : l’atelier de chant, baptisé Ch’AMP, libère les tensions, la parole, apaise, apporte le bien-être de chanter ensemble. Le coaching sportif aide les patientes en obésité et l’atelier en mouvement initié par une danseuse permet de bien se retrouver dans son corps, meurtri par les traitements ».
Enfin, respiration pour des groupes scolaires ou des personnes âgées de foyers voisins, toujours en temps accompagné (le jardin n’a pas vocation à être un square de quartier !) Et ainsi, le jardin ouvre l’hôpital sur la ville.
« Ce projet montre qu’il est possible à partir d’une démarche macroscopique de santé globale One Health de donner vie à l’échelle du terrain. Notre rêve est de voir le projet essaimer dans l’ensemble des établissements de santé à Paris et dans toute la France », partage Tatiana Theys.
Pour en savoir plus
Interview d'Alain Richert par Servane Hibon-Marty, Jardins publics, Santé publique, Symposium Jardin&Santé, 2014,
Articles :
* Plaidoyer pour des terres hospitalières, le jardin, lisière entre ville et hôpital, T. Theys, 2014/4 (n° 224), p 233-240, éditions Grep. Paysages hospitaliers, Parcours à travers l’Europe
Livres :
Jardins thérapeutiques et hortithérapie, Jérôme Pelissier, éditions Dunod, 2017
Conception et élaboration de jardin à l’usage des établissements sociaux, médico-sociaux, sanitaires, éditionsFondation Médéric Alzheimer, 2020
Créer un jardin de soin, du projet à la réalisation, Paule Lebay, éditionsTerres vivantes, 2022
Prendre soin des lieux de soins, Louise Deleur , éditions Les trois colonnes, 2023
Le Shinrin Yoku, invitation aux bains de forêts, Isabelle Boucq, éditions Hatier, 2019
Sites:
Fédération Jardins Nature Santé
Formation :
DU santé et jardins, Prendre soin par la relation avec la nature, coordinateur Dr Romain Pommier
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