Après les annonces de ces derniers jours, quand peut-on espérer commencer à vacciner ?
Dr Marie-Paule Kieny : À ce stade, il faut prendre les résultats sur les candidats vaccin à ARNm pour ce qu’ils sont : des communiqués de presse. Aucun de ces résultats n’a encore été soumis à relecture par des pairs.
Ceci dit, BioNTech/Pfizer a déjà déposé une demande d’autorisation de commercialisation d’urgence auprès de la FDA américaine et s’apprête à faire de même auprès de l’EMA. Moderna suivra dans quelques jours. L’instruction devrait être rapide, d’autant que la FDA comme l’EMA ont mis sur pied une procédure accélérée qui leur permet d’examiner les données de sécurité et d’efficacité des vaccins au fur et à mesure de leur parution. Une autorisation pour la mi-décembre est raisonnable, et les opérations de vaccination pourraient débuter en Europe début janvier 2021, en fonction des calendriers de livraison. La montée en puissance de la campagne de vaccination se fera aux premier et second trimestres. Le gouvernement français a déjà signé pour l’achat des vaccins BioNTech/Pfizer et il semble que ce soit imminent pour celui de Moderna.
Vous êtes donc confiante ?
Dr M.-P. K. : Oui, mais de nombreux points restent à clarifier et en premier lieu la durée de protection. Les taux annoncés d’efficacité sont mesurés 10 à 15 jours post-vaccination, soit au moment du pic de la réponse immunitaire. Or, personne ne connaît la vitesse de déclin de cette réponse et donc la durée de la protection. Muni des données sur la baisse de l’immunité à 3 et 6 mois, on pourra peut-être dessiner une pente de décroissance, mais dont la fiabilité ne sera pas garantie. De plus, les données d’efficacité selon la catégorie de la population et notamment chez les plus âgés ne sont pas connues. D’après les communiqués de presse, il n’y aurait pas de différence d’efficacité selon l’âge. La puissance statistique sera-t-elle suffisante pour apporter des réponses selon les sous-groupes ?
Quelle protection peut-on attendre de ces vaccins ?
Dr M.-P. K. : La mesure de l’efficacité vaccinale a porté sur les symptômes, et donc sur le fait de déclarer une Covid, quel que soit le niveau de gravité. Elle n’a pas été mesurée en fonction de la protection contre les formes graves. Les deux firmes ont néanmoins analysé le nombre de cas graves au sein de la population totale des études, avec une proportion bien supérieure chez les témoins que chez les vaccinés. Ceux qui seraient infectés malgré la vaccination pourraient donc développer – mais cela reste à démontrer – une certaine protection contre l’évolution vers une forme grave.
De plus, impossible de savoir aujourd’hui si le fait d’être infecté mais vacciné limite la possibilité de transmission du SARS-CoV-2. Les expériences conduites chez les primates non humains semblent l’indiquer, la quantité de virus présente dans la sphère respiratoire supérieure étant bien inférieure chez les singes vaccinés que chez les contrôles. Ce vaccin pourrait donc protéger, au moins dans une certaine mesure, contre la transmission virale.
Si l’efficacité du vaccin sur la transmission est avérée, quel pourrait être son impact sur les stratégies de lutte anti-Covid ?
Dr M.-P. K. : Cela pourrait être un argument en faveur d’une vaccination plus large des populations, amenant à envisager un taux de couverture vaccinale relativement important. Déjà, BioNtech/Pfizer élargit ses critères d’inclusion chez les enfants en dessous de 12 ans. En revanche, difficile, à ce stade, d’envisager un changement de stratégie en ce qui concerne le dépistage et l’isolement des Covid positifs et même des cas contacts.
Quels sont les effets secondaires attendus ?
Dr M.-P. K. : Contrairement à ce que craignent certains, l’ARN de ces vaccins ne persiste pas dans les cellules et ne s’intègre pas au génome humain composé d’ADN. Mais une technologie nouvelle inquiète souvent, d’où l’importance de la pharmacovigilance, même si à ce jour aucun signal alarmant n’est remonté. Il faut souligner que ces vaccins sont assez réactogènes : chez une proportion significative des volontaires vaccinés (de quelques pourcents à quelques dizaines de pourcents selon la réaction concernée), les effets secondaires apparaissant dans les 24 heures sont bien plus forts que pour le vaccin antigrippal, par exemple. Les généralistes auront un rôle à jouer dans la surveillance des effets secondaires de ces vaccins, en faisant remonter au plus vite les signalements inattendus.
Quant au risque de réinfection plus grave chez les vaccinés, tel qu’observé avec le vaccin contre la dengue (phénomène de facilitation de l’entrée du virus dans la cellule par les anticorps fabriqués lors de la vaccination ou ADE – Antibody-dependent enhancement), c’est un point à surveiller même si à ce jour, aucun signal n’est apparu pour le SARS-CoV-2.
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