Le recul du tabagisme marque le pas en France

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Publié le 31/05/2021
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Après plusieurs années de baisse, la proportion de fumeurs s’est stabilisée l’an dernier, repartant même à la hausse chez les personnes aux revenus les moins élevés.

Crédit photo : Irina Sidorova

A-t-on crié victoire trop tôt ? Après une baisse historique depuis 2014, la prévalence du tabagisme s’est stabilisée en début d’année dernière, voire est repartie à la hausse dans certains milieux défavorisés. Tel est le constat dressé par Santé publique France qui vient de publier, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai, son baromètre 2020 (BEH n° 8, 26 mai 2021).

Selon cette enquête téléphonique conduite de janvier à juillet 2020 auprès d’adultes choisis aléatoirement (9 000 ont été contactés avant le confinement, et près de 5 700 après), presque un tiers (31,8 %) des Français de plus 18 ans fumaient encore en 2020 (soit une proportion élevée proche de celle observée en 2019) et près d’un quart (25,5 %) avaient une consommation quotidienne versus 24 % en 2019.

Des inégalités sociales très marquées

Même si 2020 a été marquée par le Covid-19 et les confinements, cette nouvelle dynamique n’est pas forcément attribuable à la pandémie, estime Santé publique France. Globalement, « la prévalence du tabagisme quotidien n’a pas significativement varié entre 2019 (24 %), le préconfinement (25,6 %) et le post-confinement (25,3 %) », souligne en effet l’agence. De plus, une légère augmentation du nombre de consommateurs observée au début de l’année, avant la pandémie, et qui n’a pas persisté au-delà du confinement, suggère plutôt une cause préalable à la crise sanitaire.
Pour tenter de comprendre le phénomène, Santé publique France s’est penchée sur les caractéristiques socio-économiques des répondants. Résultat : si la prévalence du tabagisme s’est stabilisée dans l’ensemble de la population adulte, celle du tabagisme quotidien est passée de 29,8 % à 33,3 % parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les moins élevés et ce, en grande partie avant le premier confinement. Et globalement, les inégalités sociales restent très marquées en 2020, avec 15 points d’écart entre les plus bas et les plus hauts revenus. D’où l’hypothèse d’une origine socio-économique.

« Cette hausse s’inscrit dans un contexte de crise sociale en France qui a démarré fin 2018, avec le mouvement des Gilets jaunes, (…) qui a fortement concerné les populations de plus faible niveau socio-économique, soulignent les auteurs. Or, parmi les populations les moins favorisées, la cigarette pourrait être utilisée pour gérer le stress ou surmonter les difficultés du quotidien, malgré le coût de plus en plus important de ce produit. »

Trois questions au Dr Anne-Laurence Le Faou, présidente de la Société francophone de tabacologie

Selon Santé publique France, la prévalence du tabagisme ne recule plus dans notre pays. Cela vous surprend-t-il ?

Dr A.-L. Le F. : Ces résultats étaient en partie prévisibles car, en fait, selon les données des baromètres de Santé publique France publiés précédemment, la prévalence du tabagisme n’avait déjà pas baissé significativement entre 2018 et 2019. Le gradient social du tabagisme n’est pas non plus une surprise : on savait déjà que le niveau d’emploi, de revenu et d’éducation jouent un rôle majeur dans la consommation de tabac.

Cette stagnation vous semble-t-elle inquiétante ?

Dr A.-L. Le F. : Oui, il s’agit d’une tendance inquiétante car elle touche prioritairement les personnes sans emploi, inactives, ou de niveau d’éducation équivalent au baccalauréat. Or, la crise sanitaire pourrait avoir des conséquences sur l’emploi des personnes peu ou pas diplômées. De plus, la prévalence du tabagisme se stabilise alors qu’on fume toujours beaucoup en France : pour comparaison, la prévalence du tabagisme n’est au Royaume-Uni que de 14 % – contre plus de 30 % ici. On peut donc s’attendre à une augmentation des pathologies ainsi que de la mortalité liées à la consommation de tabac pour les années à venir dans notre pays.

Quel rôle les généralistes ont-ils à jouer pour favoriser un retour à une dynamique plus favorable ?

Dr A.-L. Le F. : Pour que le tabagisme recule à nouveau, une baisse de l’initiation tabagique des jeunes ne sera pas suffisante et il faudra également favoriser l’arrêt du tabac chez les fumeurs, tant par la mise en place de mesures collectives de lutte contre le tabac que par l’aide individuelle au sevrage. C’est là que les généralistes, en dépistant le tabagisme, en proposant systématiquement aux fumeurs des traitements d’aide à l’arrêt, en déculpabilisant et déconstruisant des idées reçues (comme celle selon laquelle le tabac aide à réduire le stress) ont un rôle majeur à jouer. Seulement 3 à 5 % des personnes arrêtant sans aide maintiennent l’arrêt à un an, contre près de la moitié de celles bien suivies ! Pour gagner du temps en consultation, il peut être utile d’utiliser une ordonnance-type de substituts nicotiniques ou de varénicline et de proposer des rendez-vous de suivi brefs, suffisants pour réajuster le traitement et parvenir au sevrage.


Source : Le Généraliste