LE QUOTIDIEN : En mars dernier, votre conseil scientifique à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) s'inquiétait de la perte de crédibilité des expertises de l'institution et de leur décalage avec l'état réel de la connaissance scientifique. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) constitue-t-il une réponse à ces critiques ?
Pr BENOÎT VALLET : Les expertises de l’agence sont une référence dans les sphères scientifiques et sanitaires, mais nos travaux portent aussi sur des sujets suscitant débats et controverses. L’avis de notre conseil scientifique, je tiens à le souligner, témoigne de notre position au cœur des enjeux sociétaux et ouvre des axes de progrès dans la production de nos avis.
Un pan important du COP que nous venons de signer est consacré à la transparence de notre action, à notre exigence déontologique et à nos fonctionnements internes qui visent l’efficience. Les travaux à l'origine du COP sont antérieurs à la remise du rapport du conseil scientifique. Les conclusions ne sont d'ailleurs pas spécifiques à la seule expertise pratiquée à l’Anses : contraintes de délais, notamment en cas d’urgence sanitaire, ou encore de conformité de mise sur le marché des produits réglementés.
Pour autant, nous avons pris en compte ces observations. Par exemple, nous avons mis en place des actions pour assurer un meilleur renouvellement des experts et nous assurer d'avoir des compétences plus équilibrées. Nous avons aussi sollicité notre comité de déontologie au sujet de la question du renouvellement des mandats et de leur durée totale qui pourrait être raccourcie, le cas échéant.
Au sujet des comités d'experts que vous comptez renouveler plus fréquemment, l'agence ne se heurte-t-elle pas simplement au faible nombre de spécialistes dans chaque domaine ?
L’Anses dispose déjà de 800 experts issus d’un grand nombre de disciplines scientifiques, dont des médecins et des pharmaciens. Une de mes priorités est de renforcer nos viviers d'experts qui, pour la plupart, viennent de la recherche publique. Or, les parcours professionnels académiques ne valorisent pas les missions d’expertise.
Nous nous rapprochons des institutions en charge de l'enseignement supérieur, comme la direction pour l'insertion professionnelle et l'enseignement supérieur, afin d'inclure l'expertise dans les parcours de formation, sensibiliser les futurs chercheurs et changer ainsi le regard sur ces activités en tant que scientifiques. Nous avons par ailleurs une activité de formation de nouveaux experts autour de la déontologie et de la méthodologie pour mener une expertise commune.
Un livre blanc sur la recherche santé au travail est prévu. Pourquoi a-t-on aujourd'hui besoin de ce type de travaux ?
Dans une vie, le temps passé au travail est important. Toutes les activités professionnelles s’accompagnent de risques spécifiques avec l’évolution de nos modes de vie et de nos conditions de travail post-Covid, sans oublier les enjeux des polyexpositions. Afin de les identifier et de les évaluer, nous devons développer nos recherches sur des types d'expositions particulières - des cosmétiques dans les salons de coiffure aux plastifiants industriels, en passant par le travail en horaires décalés – certains pouvant également comporter des dimensions d'ordre sociologique.
Le besoin de données en santé au travail est l’une des raisons pour lesquelles le programme national de recherche environnement santé travail (PNREST) devrait voir son budget évoluer et croître au-delà des sept millions d'euros annuels qu’il représente actuellement.
Comment voyez-vous la collaboration entre l'Anses et les médecins ?
En tant que médecin (le Pr Vallet est anesthésiste-réanimateur, NDLR), je suis particulièrement attentif au rapprochement entre l’Anses et les professionnels de santé et à les intéresser à l’ensemble de notre champ d’action. L'action des agences sanitaires dans le domaine de la santé publique ne peut plus uniquement alimenter les registres de l'injonction et de l'interdiction.
Nous pourrions travailler avec les médecins généralistes pour présenter une version rénovée de la prévention et des enjeux de la transformation de notre environnement à des fins de santé publique. Pour ne prendre qu'un simple exemple, en réduisant le recours à la voiture, on diminue la pollution et on augmente l'activité physique.
Vous voulez développer la recherche socio-économique au sein de l'Anses. Pourquoi ?
Intégrer plus souvent les sciences économiques et sociales dans nos expertises est un point de développement récent de l'agence, qui dispose depuis quelques mois d'une équipe renforcée au sein de la nouvelle direction « Sciences sociales, économie et société ». Dans un certain nombre de situations, nos recommandations sont renforcées lorsqu’elles prennent en compte les comportements des consommateurs ou des filières économiques sur les niveaux d’exposition.
Il arrive aussi que l'on doive prendre en compte les conséquences qu’aurait telle ou telle mesure de gestion des risques. En étudiant, par exemple, le risque associé à l’application d’une peinture antisalissure sur les coques de bateau, nous allons chercher l'effet de ces peintures sur la santé humaine et l’environnement marin, mais aussi sur les conséquences économiques et sociales de l’usage des alternatives qui seraient envisagées.
Est-ce que cela va jusqu'à mettre dans la balance des notions telles que les conséquences économiques ou la souveraineté alimentaire ?
La prise en compte de questions socio-économiques est hors du champ particulier des expertises que nous menons sur les dossiers de demandes d’autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les produits phytopharmaceutiques. Pour les évaluer, nous devons suivre strictement des lignes directrices fixées par la réglementation européenne, à l’instar de ce qui est pratiqué pour le médicament.
Néanmoins, des travaux sont partagés avec l'Inrae (avec qui l'Anses a récemment renouvelé son partenariat) pour évaluer les alternatives aux produits phytopharmaceutiques. C'est obligatoire dans la mesure où la substance active est sur la sellette européenne et où les AMM ne peuvent être délivrées qu’en l’absence de substitution possible. La France et l’Inrae ont d'ailleurs été interrogées pour évaluer les alternatives disponibles et non chimiques au glyphosate.
Une partie du monde politique vous reproche de faire du zèle vis-à-vis des règlements européens. Une proposition de loi doit même passer devant l'Assemblée nationale pour réduire vos marges de manœuvre. Comment analysez-vous cela ?
Les réactions politiques que vous évoquez ont fait suite à notre décision d'interdiction des principaux usages de l’herbicide S-métolachlore. À l’époque, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) avait tiré les mêmes conclusions que nous, en raison de la non-conformité de la substance active aux limites de migration vers les eaux souterraines. Si un produit n'entre plus dans les critères de réglementation européenne, il doit être interdit (le 5 mai dernier, la Commission européenne a prolongé l'autorisation du S-métolachlore jusqu'au 15 novembre 2024, le temps de finaliser le réexamen européen de la substance active, NDLR).
Nous sommes dans un monde en transition en matière phytopharmaceutique. Les plans Écophyto qui se sont succédé depuis 2018 rencontrent des difficultés pour réduire le recours aux pesticides. L’une des explications est que les alternatives sont difficiles à trouver ou demandent de forts changements dans les pratiques agricoles.
Il n’est pas surprenant que nos décisions provoquent des questionnements importants quand la difficulté de la transition est manifeste, comme pour le S-métolachlore. L'agence contribue à l'interdiction de certains produits de traitement, tout simplement parce qu’ils ne respectent pas les critères sanitaires en vigueur pour accéder au marché. Même si nous sommes conscients des difficultés pour les agriculteurs.
Que signifie concrètement, pour une agence comme la vôtre, adopter une approche « One Health » ?
Les différentes santés, humaines, animales et végétales, se croisent en permanence dans nos travaux de recherche et d'expertise. J'étais récemment dans notre laboratoire de Boulogne qui étudie les risques alimentaires liés à la consommation des ressources halieutiques (poissons et produits de la mer), elles-même impactées par la pollution plastique. L'effet du réchauffement et de l’acidification de l’eau sur la santé des poissons est aussi un sujet montant. Les compétences croisées nécessaires à ces expertises nous ont amenés à développer nos coopérations avec l'Ifremer.
Pour l’influenza aviaire, nous travaillons en étroite relation avec Santé publique France pour prévenir et anticiper les conséquences de l’adaptation du virus aux mammifères dont l’Homme, en insistant sur la mise à disposition de vaccins pour les volailles, mais aussi en encourageant la vaccination des éleveurs contre la grippe saisonnière.
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce