La crise sanitaire a soulevé de nombreux questionnements éthiques pour les soignants et pour la prise de décision publique. Dès le début de la pandémie, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait donc recommandé la mise en place de « cellules de soutien éthique » en appui des professionnels de santé. Pour évaluer leur apport pendant la crise, la direction générale de l’offre de soins a financé l’étude PANTERE (PANdémie, TERritoires et Ethique), dont le rapport vient d’être rendu à Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins.
« À cet enjeu fort de respecter une certaine « éthique de proximité » durant la crise, se sont jointes depuis les priorités du Ségur de la santé, qui insiste sur la nécessité de remédier à la déshumanisation des soins et de redonner des pouvoirs d’initiative aux soignants », explique la DGOS (direction générale de l’offre de soins).
Des propositions pour le développement de l’éthique émergent donc de ce rapport en s’appuyant notamment sur les constats de cette crise. L’étude a été portée par le groupe de recherche ANTICIPE (unité 1 086 INSERM et CERREV, EA 3918, université Caen-Normandie) en partenariat avec Sciences Po et les ERER (espaces de réflexion éthique régionaux) de Bretagne, Normandie, PACA-Corse, Bourgogne-Franche-Comté et Nouvelle Aquitaine.
Un soutien éthique au plus proche des acteurs
Même si l’étude PANTERE souligne qu’il faut rester « humbles et prudents quant à l’analyse d’un retour d’expérience qui n’a pas fini d’être sondé tant sa profondeur et son intensité laissent encore à explorer », elle conclut malgré tout que la pandémie a été « révélatrice d’un besoin de renforcer l’éthique dans les territoires au plus près de ceux qui vivent les situations de souffrance dans les établissements, dans les collectivités, jusque dans les foyers ». « L’éthique ne doit pas devenir un alibi bureaucratique mais un réel outil d’aide à la décision et au bien-être des populations. »
C’est pourquoi le rapport propose notamment de pérenniser l’offre de soutien éthique aux professionnels au niveau territorial en anticipation des situations de crise. Cela passe notamment par le renforcement de la mission d’observatoire d’expertise des ERER et leur intégration à la définition et l’adaptation des décisions nationales dans la gestion de crise sanitaire ou la conduite des politiques publiques. De manière générale, le rapport conclut également à la nécessité de développer la formation initiale et continue des professionnels de santé à l’éthique. L’importance de faire vivre l’éthique au sein de la démocratie sanitaire est aussi une priorité.
Réviser régulièrement les décisions
Dans le détail, l’étude s’est également penchée sur plusieurs thématiques spécifiques à la crise pour en tirer des leçons et proposer des pistes d’amélioration.
Elle montre notamment que la crise a été un catalyseur de problématiques déjà existantes notamment sur le manque de moyens pour permettre la dimension relationnelle du soin. Le rapport conclut donc à la nécessité d’anticiper ces besoins en moyens humains pour une meilleure écoute des droits et des besoins des plus vulnérables. Il recommande aussi de s’appuyer davantage sur l’expérience des usagers pour avoir un accueil et un accompagnement plus adaptés aux besoins spécifiques de chacun.
Sur les prises de décisions institutionnelles en période de crise, l’étude PANTERE rappelle que les droits fondamentaux des personnes ne doivent jamais être perdus de vue, que les liens familiaux et sociaux doivent être maintenus et qu’une révision régulière des décisions doit être mise en place.
Un focus a notamment été fait sur les mesures liées au grand âge pendant la crise. Face aux nombreux questionnements éthiques qui ont pu être soulevés notamment sur les politiques dans les Ehpad, le rapport recommande l’établissement d’un pacte de responsabilité entre directions, personnels, résidents et familles pour définir les mesures à mettre en œuvre. La place des proches dans la prise en soins et la vie quotidienne des résidents doit être reconnue, tout comme le fait que les résidents de ces établissements ont les mêmes droits que ceux vivant à domicile. Le rapport appelle au respect de leur autonomie en les associant ou leurs proches aux décisions. Le rapport suggère aussi de repenser l’architecture des lieux d’accueil « en prévision de ce type d’urgence sanitaire ».
Sur la fin de vie et les visites en cas de pandémie, l’étude évoque notamment le déploiement des outils numériques pour permettre les visites virtuelles. Le tri des patients lui ne doit pas faire l’objet de règles générales mais il faut maintenir une approche au cas par cas.
Assumer l'incertitude
L’étude PANTERE revient également sur le dépistage et la campagne de vaccination. Sur le traçage des cas contacts, les chercheurs regrettent que son « acceptabilité n’ait été réfléchie initialement que des points de vue techniques et réglementaires sans prendre en compte suffisamment les enjeux sociaux ». « Il n’y a pas eu de mobilisation suffisante de la démocratie sanitaire sur ces questions », estiment-ils.
Idem pour le dépistage pour lequel n’ont pas assez été prises en compte les dimensions de mise à l’écart de l’environnement familial, d’un foyer de vie, du monde professionnel, qu’il pouvait engendrer.
Sur la vaccination, le rapport pointe « un déficit d’exposé des motifs » pour justifier la priorisation ou l’obligation. « Le risque a pu être de favoriser la communication plutôt qu’une information claire et explicite », souligne le rapport.
Selon l'étude, la crise a donc révélé un besoin majeur d’éduquer les citoyens sur les questions scientifiques et de santé publique. En même temps, il recommande aux pouvoirs publics de ne jamais substituer les stratégies de communication médiatique à une information « humainement portée dans les territoires ». Cela passe par une explicitation des enjeux mais aussi une nécessité d’assumer l’incertitude et de communiquer dessus.
Il incite aussi à « rester vigilant quant à la normalisation des mesures d’urgence liberticides ». Ajoutant : « Il appartient aux politiques de rester vigilants face à ce risque d’accoutumance et de fixer les objectifs de retour à la normale. »
Dans les prochaines semaines, une « feuille de route pour le développement de l’éthique » sera proposée.
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