« Il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger ». Dans son avis 139 rendu le 13 septembre, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) trace un nouvel équilibre entre autonomie et solidarité pour modifier le cadre actuel de la fin de vie en France.
Si une évolution est envisageable, c'est que l'encadrement élaboré à travers quatre lois depuis 1999 ne répond pas à toutes les situations. La dernière loi Leonetti-Claeys de 2016 permet bien aux personnes atteintes d'une affection grave et incurable et présentant des souffrances réfractaires, au pronostic vital engagé à court terme, c'est-à-dire quelques heures ou jours (y compris lors d'une décision d'arrêt des traitements), de demander une sédation profonde et continue jusqu'au décès.
Mais les personnes très malades dont le pronostic n'est engagé qu'à moyen terme « ne rencontrent pas de solution adaptée à leur détresse », lit-on. « Il peut s'agir de personnes atteintes d'un cancer, pour lesquelles les thérapeutiques ont pu arrêter la maladie à un stade très évolué sans la soigner, et qui souffrent des séquelles ; de personnes avec une maladie neurodégénérative, ou des situations de vieillissement avec polypathologies », détaille le Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs.
Des repères éthiques stricts
Au nom du respect de l'autonomie de la personne, « la possibilité d'un accès légal à une assistance au suicide devrait (donc) être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme », quelques semaines voire jusqu'à six mois comme en Oregon, propose le CCNE. Pour rappel, l'assistance au suicide consiste à donner les moyens à une personne de se donner la mort elle-même.
Le CCNE précise qu'une telle demande devrait être exprimée par une personne autonome dans ses choix, de façon libre, éclairée et réitérée. Le médecin aura la responsabilité d'y donner suite (ou non) à l'issue d'une procédure collégiale rassemblant d'autres professionnels de santé (dont un psychiatre et un spécialiste de la douleur) et des proches, par une décision écrite, tracée, argumentée. Au-delà de confirmer les critères médicaux, son rôle sera de « s'assurer que la demande de mourir est bien l'expression d'une volonté », insiste le Pr Aubry, notant que des pressions internes ou externes peuvent parfois amener une personne à demander la mort.
Dissensions sur l'euthanasie
Le médecin doit-il, en plus de prescrire, administrer lui-même le produit létal ? Il s'agit alors de la question de l'euthanasie (acte destiné délibérément à mettre fin à la vie d'une personne à sa demande), l'autre voie de l'aide active à mourir. Les dissensions parcourent la société tout comme le CCNE : certains de ses membres considèrent qu'il y aurait un principe d'égalité à l'ouvrir pour les malades qui n'auraient pas la capacité physique à s'administrer le produit ; d'autres considèrent que la loi ne doit pas établir d'exception à l'interdit de donner la mort et souhaitent que les décisions médicales face à des cas exceptionnels soient laissées à l'appréciation du juge.
Dans tous les cas, les professionnels de santé devraient pouvoir bénéficier d'une clause de conscience, accompagnée d'une obligation de référer le patient à un autre praticien, préconise le CCNE. « Il est urgent de prendre le temps de discuter avec les soignants, on ne pourra avancer qu'ensemble », a affirmé le Pr Jean-François Delfraissy, estimant que « certains médecins ont évolué sur la question ».
Promouvoir les directives anticipées
Le CCNE a choisi de ne pas explorer les situations des fins de vie en néonatologie, des mineurs ou des personnes ne pouvant plus exprimer leur volonté. En revanche, il fait du renforcement des soins palliatifs un impératif. L'expression anticipée des volontés doit être soutenue, la sédation continue et profonde, élargie au-delà des unités spécialisées, la recherche, approfondie, et la filière universitaire (aucun professeur n'a jamais été nommé) et la culture palliative doivent se développer. Dans une « réserve », huit membres du CCNE, dont la neurologue Sophie Crozier, considèrent même qu'il ne peut y avoir de réflexion sur la légalisation de l'aide au suicide avant une application effective des dispositifs existants.
Une convention citoyenne sera organisée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) entre octobre et mars 2023, tandis que les espaces éthiques régionaux orchestreront des débats dans les territoires, et que le gouvernement saisira les parlementaires, en vue d'évolutions, le cas échéant, d'ici à la fin 2023, indique l'Élysée. Déjà, l'association pour le droit de mourir dans la dignité salue une « ouverture qui donne un réel espoir », tandis que huit organisations de soignants ou d'établissements pratiquant des soins palliatifs* s'inquiètent des effets d'un « changement éthique majeur », soulignant que « donner la mort n'est pas un soin ».
* dont la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), voir le Congrès hebdo pages 30 à 35
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