Le Sénat a profondément modifié le projet de loi de bioéthique au cours de son examen en séance publique, du 21 au 29 janvier, en refermant notamment certaines portes ouvertes début janvier par la commission spéciale en termes de génétique. Cette nouvelle version de la troisième révision depuis 1994 sera votée officiellement le 4 février, avant de revenir à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture.
Le Sénat renonce ainsi à l'extension du diagnostic préconceptionnel pour l'ensemble de la population et à l'élargissement du diagnostic pré-implantatoire à la recherche de certaines aneuploïdies (DPI-A), rejoignant en ce sens l'avis des députés et de la ministre de la Santé. La commission avait autorisé à titre expérimental ce DPI-A pour les femmes ayant des antécédents de fausses couches ou d'échecs de FIV. « Cette technique est loin d'être démontrée. Le temps est encore à la recherche », a déclaré Agnès Buzyn.
Les sénateurs ont supprimé l'article introduit en commission visant à autoriser les tests génétiques commerciaux dits « récréatifs », à visée généalogique, aujourd'hui interdits. Mais la sanction n'est pas appliquée : selon le rapporteur centriste Olivier Henno, un million de Français ont déjà eu recours à ces tests, dont 150 000 en 2019.
Le Sénat confirme en revanche le rétablissement voté en commission spéciale de la pratique de diagnostic pré-implantatoire couplé à un typage HLA (DPI-HLA), ou « bébé médicament », que les députés avaient évincée.
Interdiction d'introduire des cellules humaines dans des embryons animaux
En matière de recherche, les sénateurs ont supprimé, à la demande des communistes et des Républicains, l'article 17 qui encadrait le recours à des outils de modification ciblée du génome (CRISPR-CAS 9) et ouvrait la voie à l'insertion de cellules souches humaines dans des embryons animaux (« embryons chimériques ») – notamment pour les comparer avec des cellules souches pluripotententes induites (iPS) humaines, que les chercheurs peuvent déjà adjoindre à des embryons animaux.
« On touche là à deux lignes rouges qui depuis que les lois de bioéthique existent, n'ont jamais bougé : la possibilité de création d'embryons transgéniques et chimériques » a argumenté le président du groupe LR Bruno Retailleau. « L'utilisation de la technique CRISPR-CAS 9 ne mènera pas à des bébés génétiquement modifiés », a tenté de rassurer en vain le rapporteur Olivier Henno. La ministre de la Recherche Frédérique Vidal a aussi rappelé qu'il n'était pas question de revenir sur l'interdiction de modifier des embryons humains par l'insertion de cellules animales et sur l'interdiction de créer des embryons pour la recherche.
Dans une tribune publiée le 22 janvier dans « Le Monde », treize spécialistes des cellules souches se défendaient de vouloir transférer des embryons humains modifiés dans l'utérus à des fins de procréation. « Arrêtons d'agiter le spectre de l'émergence d'une humanité génétiquement modifiée et d'un eugénisme d'État (...). Les recherches sur les embryons humains visent à mieux appréhender les causes d'infertilité et améliorer l'efficacité des méthodes de PMA », écrivaient-ils.
Augmentation du délai autorisé pour la culture d'embryons in vitro
Les sénateurs ont en revanche validé la distinction entre le régime encadrant la recherche sur les cellules souches embryonnaires (qui devient déclaratif), et celui portant sur l'embryon (qui reste soumis à une autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine).
Ils ont porté à 21 jours le délai autorisé pour la culture d'embryons in vitro, contre sept de facto (la loi ne prévoit jusqu'à présent pas de limite), alors que le gouvernement préfère en rester à 14 jours. Également contre l'avis du gouvernement, le Sénat a porté à 10 ans contre 5 dans le projet initial le délai de conservation des embryons cédés à la recherche.
Vers un encadrement du don de corps à la science
En réaction au scandale du Centre parisien du don des corps à la science, où les cadavres étaient conservés dans des conditions indignes, le gouvernement a réussi à faire voter par le Sénat un amendement encadrant les conditions de ces dons. Ces 27 centres ne font actuellement l'objet d'aucune réglementation. L'amendement prévoit donc qu'une personne qui choisit de donner son corps à la science exprime son consentement de manière écrite et expresse. Les centres devront avoir une autorisation délivrée par le ministère de la Recherche et répondre à des règles définies par décret.
Rejet de l'autoconservation des gamètes
Enfin, les sénateurs sont revenus sur les mesures concernant l'assistance médicale à la procréation (AMP) prévues par le gouvernement. Ils ont ainsi supprimé le remboursement de cette technique pour les couples de femmes et l'autoconservation des gamètes hors indications médicales (cancers, endométriose), et redessiné un nouveau mode de filiation pour les enfants issus de couples de femmes (réintroduisant l'adoption du parent d'intention, alors que le texte initial mettait sur le même plan les deux mères). Ils ont aussi consolidé l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA) en France, en excluant la transcription à l'état civil des actes de naissance établis à l'étranger.
Le Sénat a restreint le droit d'accès à leurs origines des enfants issus d'AMP en prévoyant la possibilité pour le donneur de refuser l'accès à son identité au moment de la demande. En revanche, l'accès aux données non identifiantes est une condition du don.
Enfin, le Sénat a instauré un statut de donneur d'organes pour promouvoir la démarche, et autorisé le don du sang dès 17 ans.
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