Au lendemain de l’adoption au Sénat de la controversée proposition de loi Rist – qui ouvre l’accès direct aux infirmières de pratique avancée (IPA), orthophonistes et kinés –, les paramédicaux concernés affichent leur satisfaction et poussent leurs pions.
Le 15 février, l’Ordre des infirmiers (Oni) s’est félicité d’une « évolution majeure » pour « garantir à tous des soins de proximité », alors que 10 000 médecins défilaient la veille dans les rues de la capitale pour s’opposer à cette proposition de loi. Ce texte « ouvre la voie à des prises en charge rapides, au plus près du lieu de vie des patients, et garantit la continuité des prises en soins des malades chroniques, se réjouit Patrick Chamboredon, président de l’Oni. Ce sont des solutions qui ont fait leurs preuves à l’étranger », assure-t-il.
« Lobbying corporatiste »
L'Oni regrette toutefois « le lobbying corporatiste de certaines organisations qui ont cherché à caricaturer voire à dégrader l’image et le rôle des IPA auprès des patients ». Une grogne médicale « d’un autre temps », déplorent aussi une cinquantaine d’organisations infirmières – hospitaliers, libéraux, IPA, étudiants – dans un communiqué commun. Pour toutes ces structures, les débats autour de la PPL Rist auraient dû se recentrer sur l’intérêt des patients car « les postures d’un corporatisme médical séculaire et autoritaire n’ont jamais fait progresser la santé de nos concitoyens, bien au contraire », taclent-elles.
Pour autant, le texte adopté au Sénat laisse les infirmiers sur leur faim. Le 14 février, le Syndicat national des infirmiers libéraux (Sniil) a même invité les parlementaires à aller plus loin en ouvrant l’accès direct à l’ensemble des infirmiers. Le syndicat dénonce un texte trop timide, « vidé de son sens » pour « maintenir la profession sous le joug des médecins ».
« Nous croyons en l’accès direct pour les 700 000 infirmiers », abondent également les 50 organisations infirmières, suggérant que cette évolution des compétences pourrait améliorer la prise en charge des plaies, afin de « réduire les pertes de chances et fluidifier le parcours des patients ». « Si le corps médical ne semble pas vouloir reconnaître les atouts de ces professionnels de santé en leur accordant leur confiance, le système de santé est voué à se dégrader de jour en jour », affirme le Sniil.
L'Ordre des kinés veut davantage de séances en accès direct
Mardi dans le cortège parisien, de nombreux médecins craignaient que les accès directs aux paramédicaux aboutissent à une « médecine à deux vitesses ». Mais pour Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre des kinés, interrogée ce jeudi par « Le Quotidien », « la médecine à deux vitesses, c'est déjà celle de tous les patients qui ne trouvent pas de médecins ».
Farouche avocate de la PPL Rist et du partage de compétences, Pascale Mathieu regrette elle aussi les concessions du Sénat pour freiner l’accès direct, comme la suppression de l’échelle de la CPTS, jugée trop large par les médecins. « Il fallait garder cette échelle, les CPTS ont justement été créées pour coordonner l’offre de soins sur le territoire », défend la présidente de l’Ordre des kinés. Les paramédicaux espèrent que la mention aux CPTS pourra être réintroduite en commission mixte paritaire (CMP).
Le Sénat a aussi limité à cinq le nombre de séances de kinés possibles sans consultation médicale. Un quota divisé par deux par rapport au texte initial. « Je suis très mécontente », réagit Pascale Mathieu. « C’est irrationnel d’un point de vue médical, le minimum de séances dans nos référentiels HAS est de dix pour l’entorse de cheville », détaille la kiné de Gironde, qui espère, là encore, que la CMP fera machine arrière.
Les médecins enfoncent le clou
Alors que l’Ordre des médecins (Cnom) a défilé dans la rue mardi aux côtés des confrères – une première historique – Pascale Mathieu, au nom des kinés, dit « ne pas comprendre » cette démarche. L'Ordre des médecins « a manifesté pour s’opposer à ce que nous avions signé ensemble en octobre avec le Clio (comité de liaison inter-ordres) afin de mieux partager les tâches et fluidifier l’exercice coordonné, j’espère qu’il va revenir à la raison », tacle-t-elle.
Mais ce jeudi, l'ensemble des syndicats de médecins ont, comme un seul homme, redit tout le mal qu'ils pensaient de la PPL Rist et des évolutions qu'elle ouvre sur les compétences et les périmètres d'intervention. « Mardi 14 février, les syndicats médicaux libéraux et hospitaliers, les jeunes et l'Ordre ont marché ensemble dans les rues de Paris dans une union historique pour défendre le système de santé français, expliquent-ils dans un communiqué commun. Attaqué par les parlementaires, négligé par le ministère, contourné par le gouvernement, le système de santé est en grand danger. La loi Rist/Bergé, au prétexte de "lever les freins", se propose de déréguler l'accès aux soins, ouvrant la voie d'une redoutable et néfaste médecine à deux vitesses. » Un dialogue de sourds ?
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