Qui aurait pu imaginer entendre et voir une « attachée de presse et critique littéraire », connue jusque-là pour des tweets en faveur de personnages antisémites et négationnistes face à un ministre de la Santé sur un plateau TV ? Et que cette même personne, sortie de nulle part et après avoir ouvertement exprimé son mépris pour ce ministre, lui expliquerait que les vaccins à base d’ARNm sont, de fait, des « thérapies géniques » (sic). Cela s’est passé en décembre dernier sur LCI. Utilisant des termes dont elle ne devait même pas comprendre le début du commencement, la dame, telle un oiseau marin rentrant de la pêche, régurgitait des éléments de langage attrapés sur des sites divers et (a)variés, jouant avec arrogance la sachante.
Cette scène est tout à fait significative, pathognomonique dirait un médecin, de ce que les événements que nous traversons ont généré. Il y a, certes, l’immense responsabilité de la chaîne et de ses programmateurs qui sont allés chercher cette vedette en devenir dans son sud natal. Il y a aussi la recherche de l’esclandre, de la provocation, du clash et du buzz pour reprendre les mots préférés des commentateurs. Là où la science vit d’hypothèses, les médias vivent de certitudes. Et ces mêmes médias, à de très rares exceptions, n’aiment qu’une chose, le conflit : mettre face à face des gens qui ne s’aiment pas, de façon que ça cogne, quel que soit le sujet. Le sang avant le sens.
La faute de médias irresponsables ? Sans aucun doute mais s’arrêter là serait trop facile. Un mot vient à l’esprit : spectacle. Pas celui dont les confinements et les mesures-barrière nous privent dans les lieux où il se déroule habituellement. Non dans son acception un tantinet plus péjorative. Le spectacle évoqué ici est celui qu’ont donné des personnes souvent auréolées de titres universitaires et hospitaliers sur les plateaux des divers médias où certains ont passé parfois plus de temps que dans leur service.
Cette crise aura quand même mis en avant l’extraordinaire imprudence de gens qui, dans des domaines qu’ils ne maîtrisaient pas forcément, se sont lancés dans des numéros de madame Irma, faisant des annonces et des prédictions qui, trois mois plus tard s’avéraient fausses.
Experts médiatiques ?
J’avais défini dans un cours que je donnais dans le cadre d’un DEA d’épidémiologie, le concept de l’expert médiatique : une personne qui avait une opinion d’autant plus arrêtée qu’il sortait de son champ de compétences. Cette crise aura permis de vérifier que cette définition est assez juste ; ma modestie naturelle eut-elle à en souffrir !
L’imprécision des discours, les effets de manche, les erreurs, tout cela a décrédibilisé une partie de celles et ceux censés détenir la connaissance. Et la nature ayant horreur du vide, on a vu surgir des nuées d’épidémiologistes et infectiologues formés en une nuit sur Twitter ou Facebook, avec une appétence pour les thèses les plus folles et dont certains se sont servis pour mettre encore plus le feu.
À côté de certains éditorialistes cacochymes, « has been » revigorés par les théories complotistes les pires, on a vu surgir des médecins tenant des discours quasiment sectaires et ne laissant pas d’inquiéter sur leur capacité à prendre en charge des patients. La faune de gourous vendeurs de produits dits naturels s’est bien régalée également. Mais on a vu aussi des gens ayant une connaissance de la médecine et de la science à hauteur de leur maîtrise de l’orthographe et de la concordance des temps, devenir de vraies vedettes des réseaux sociaux. Ces inconnus, sortant de nulle part, ces « has never been » sont devenus des références pour certains, contestant les données officielles et se gargarisant de mots dont le préféré semble être « remdesivir ».
Cette irruption dans l’information santé de nos concitoyens fragilisera de fait le dialogue entre le médecin et certains de ses patients. Le temps est peut-être venu de trouver un ou des moyens de faire connaître à des moments précis, ce qu’est l’état des connaissances, des certitudes et des doutes. Ce n’est ni le rôle de l’Ordre, ni celui des syndicats. Ce pourrait être l’occasion de penser à un équivalent de British Medical Association, une sorte d’Association Médicale Française parlant au nom de la médecine et des médecins de façon calme et sans avoir de livre à vendre.
Et comme on dit en français face aux « has never been » why not ?
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