LE QUOTIDIEN : Le soin aux soignants en difficulté fait-il désormais partie des priorités de l’Ordre national des Médecins ?
Dr PATRICK BOUET : L’entraide aux confrères est l’une des missions régaliennes de l’Ordre des Médecins définie par la Loi. Mais cette entraide ne doit pas être exclusivement compassionnelle ni être appréhendée de façon séquentielle et ponctuelle. Aujourd’hui, l’institution ordinale a dans ses priorités de construire un mécanisme d’entraide professionnelle qui peut, si besoin, prendre en charge un confrère de son entrée à l’Université jusqu’à la fin de sa carrière, voire pendant ses années de retraite.
Et c’est à l’Ordre de jouer un rôle essentiel de communication autour des dispositifs d’aide car les soignants gardent encore une réserve vis-à-vis de la maladie et de la difficulté personnelle ou professionnelle de façon générale. Ils vivent ces épreuves comme des échecs, comme une remise en question de leur qualité de soignant.
Or, aujourd’hui plus encore qu’hier du fait de problèmes de démographie médicale, il est essentiel que l’Ordre soit au côté des professionnels pour leur éviter de se désinsérer, de se marginaliser. La France a tellement besoin de professionnels de santé qu’il n’est pas envisageable d’en laisser au bord du chemin par manque de structure d’entraide.
Vis-à-vis des pouvoirs publics, l’Ordre se positionne pour affirmer que notre mobilisation n’est pas seulement un effet d’annonce. La population a besoin de soignants. Et elle a besoin que ces soignants soient bien pris en charge s’ils nécessitent eux-mêmes des soins.
Est-il nécessaire que l’action des confrères et des associations de soignants de soignants soit reconnue par un droit au titre ?
L’entraide doit se professionnaliser et le soin aux soignants aussi. L’approche à adopter avec un confrère malade diffère de celle que l’on peut proposer à d’autres patients. Et il faut prendre en compte cette différence en se fondant sur l’expérience des médecins et des associations qui œuvrent en ce sens depuis des années sur le terrain. En cas de difficulté, une réponse de professionnel à professionnel est souhaitable, l’entraide n’est pas un « nouveau marché », elle doit appartenir aux hommes et aux femmes du monde du soin.
En outre, l’entraide doit s’inscrire dans une prise en charge plus globale regroupant la prévention et le soin. Aujourd’hui, la pénibilité et la souffrance inhérentes à nos fonctions ne doivent plus être passées sous silence.
Par le droit au titre, nous souhaitons professionnaliser l’écoute, du dépistage et de la compréhension. Seules les personnes spécifiquement formées sont en effet à même de mettre à nu des difficultés profondes exprimées sous couvert de maladie ou de problématique d’exercice. Lorsqu’un médecin se désinsère, il porte souvent en lien un poids bien plus lourd que celui qu’il veut bien laisser entrapercevoir.
Ce nouveau droit au titre n’est-il pas pour l’Ordre une manière de régenter l’action de professionnels et d’associations déjà présentes sur le terrain ?
Loin de là. L’Ordre souhaite fédérer les efforts déjà entrepris sur le terrain, en assurer la stabilité et en aidant sur le plan matériel si nécessaire. Tout cela en respectant l’anonymat des soignants en difficulté tout comme les exigences spécifiques de fonctionnement des associations. L’Ordre n’est pas là pour modéliser le système de l’entraide. Son but est de rassembler les acteurs, de leur permettre d’échanger, et de rendre plus lisible l’offre fondée sur la compétence des acteurs grâce au relais des conseils départementaux.
Le droit au titre permettra aux soignants d’identifier plus facilement des professionnels formés et aptes à répondre aux demandes spécifiques. Les soignants de soignants ne prendront pas la place des médecins traitants. Ils viendront en soutien pour orienter des confrères en difficulté vers des référents locaux aptes à les prendre en charge dans des domaines particuliers. C’est pour cette raison qu’il doit s’agir d’hommes et de femmes de terrain qui se sont engagés dans cette démarche.
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