Jean de Kervasdoué a la plume acide. Et lorsqu'il est question de l'organisation et du financement de notre système de soins, l'économiste de la santé, ex-directeur des hôpitaux, n'y va pas par quatre chemins.
Dans son nouvel ouvrage intitulé « La coûteuse inégalité des soins, soigner mieux, soigner moins cher », coécrit avec le Dr Roland Cash, également économiste et consultant, Jean de Kervasdoué dresse un bilan édifiant des dysfonctionnements du système tricolore. Écarts entre les soins médicaux « prodigués » et « recommandés », médecine « inutile, peu pertinente, voire dangereuse », logique de remboursement de traitements ou de produits « qui n'apportent pas grand-chose », soins excellents ici mais discutables ailleurs… À partir d'études de cas concrets, l'expert dissèque un système mal géré, ou pas géré du tout.
Fermer 100 blocs
De 275 000 à 395 000 événements indésirables graves liés aux soins se produisent chaque année pendant une hospitalisation. Les désordres physiologiques et métaboliques, septicémies, escarres et embolies pulmonaires postopératoires qui en résultent induisent une dépense de près de 700 millions d'euros (en ne retenant que ces indicateurs). Pour l'économiste, 95 000 à 180 000 de ces événements sont « évitables ». En jeu : deux milliards d'euros d'économies pour la Sécu.
Comment faire mieux ? En concentrant l'offre hospitalière et en respectant de manière « plus stricte » les seuils d'activités chirurgicaux. Jean de Kervasdoué est catégorique : « La qualité et la compétence doivent primer sur la proximité ». Un petit hôpital avec 1 000 à 1 500 interventions par an creuse son déficit de deux millions d'euros par an, l'activité ne couvrant pas les autres frais.
Or, un établissement sur trois enregistre une activité inférieure au seuil minimal de 30 séjours chirurgicaux par an pour le cancer du côlon. Même constat sur le cancer du sein. Pourtant, les blocs continuent de tourner. « Il existe un lien fort entre le volume d'actes et le résultat des soins », peut-on lire. Les auteurs recommandent de fermer la petite centaine de blocs à moins de 2 000 interventions par an et les maternités de moins de 600 accouchements par an.
La même « rationalisation » hospitalière doit s'appliquer dans les 67 services d'urgences qui plafonnent à moins de 10 000 passages annuels. Pour autant, Il ne s'agira que « rarement » de fermer les petits hôpitaux, mais bien de poursuivre l'activité dans d'autres secteurs (gériatrie, SSR), en lien étroit avec la médecine de ville.
Radios inutiles, recours hétérogènes
La non-pertinence des soins représente un coût évalué entre sept et huit milliards d'euros par an, « dont les deux tiers au titre des prescriptions pharmaceutiques », calculent les deux économistes, pour qui « l'ambition raisonnable » serait de réduire ce montant à trois milliards d'euros par an.
L'imagerie fait l'objet d'un traitement particulier, au moment où les radiologues viennent de signer un protocole d'économies avec la Sécu (lire ci-dessous). Outre les « explorations inutiles » pour la lombalgie simple, 70 % des radiographies du crâne, 30 % des radios de l'abdomen sans préparation et 30 % des radios du thorax seraient non indiquées, affirment les auteurs. À la clé, 70 millions d'euros d'économies.
Autres gisements identifiés sur cinq actes de chirurgie (appendicectomie, cholécystectomie, thyroïdectomie, chirurgie du canal carpien, amygdalectomie) : 43 millions d'euros si les régions dont les taux de recours sont supérieurs à la moyenne nationale rejoignaient ce niveau.
Jean de Kervasdoué est particulièrement offensif sur les surprescriptions pharmaceutiques même si les problématiques sont connues (statines, psychotropes, polymédication, etc.). La France a une dépense de médicaments par habitant de 12 % supérieure à la moyenne des pays de l'UE, « ce qui représente un potentiel d'économies de 3,5 milliards d'euros ». Une manne pour financer les innovations coûteuses, suggère l'ouvrage. « Le summum du scandaleux, sinon de l'absurde, est atteint par la catégorie de produits inefficaces exposant à des effets indésirables graves, où on trouve notamment les médicaments commercialisés contre la maladie d'Alzheimer », peut-on lire. Quant à l'homéopathie (56 millions pour le régime obligatoire), son sort est scellé en deux pages. « Ces produits dans lesquels il n'y a rien sont pourtant remboursés à 30 % par l'assurance-maladie (...)».
RRAC et bonus/malus
« Il y a une propension en France à utiliser à mauvais escient les différents segments du système de soins, et en particulier, à surutiliser les structures et services les plus coûteux pour des situations médicales simples », raille Jean de Kervasdoué.
Le développement de la chirurgie et de la médecine ambulatoire ainsi que la récupération rapide après chirurgie (RRAC) sont l'une des clés de la transformation hospitalière, assorti d'un financement modernisé. La tarification à l'activité pousse l'établissement « à garder les malades et à remplir sa structure de soins » quand l' inverse est réclamé. L'expert est favorable au forfait « tout compris » à l'épisode de soins, incluant « les coûts de l'intervention de la phase préopératoire à la phase postopératoire, les transferts financiers se faisant au sein du forfait ».
Pour inciter financièrement médecins et établissements à la qualité, Jean de Kervasdoué suggère un système de bonus/malus fondé sur des indicateurs mesurables (diminution de la prescription antibiotique, d'examens biologiques, d'accidents liés aux anticoagulants, etc.). « Comme en France, il y a toujours une échéance électorale qui s'annonce, on ne procède pas aux restructurations nécessaires », se désole l'économiste. A tort ou à raison.
« La coûteuse inégalité des soins, soigner mieux, soigner moins cher », de Jean de Kervasdoué et du Dr Roland Cash, coll. Economie de la santé, eds. Economica, 172 pages, 19 euros, avril 2018.
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