La réforme du 100 % santé, qui prévoit un reste à charge zéro sur certaines lunettes, prothèses dentaires et appareils auditifs, provoque-t-elle des dérives commerciales ? Les représentants des audioprothésistes et des médecins spécialistes en ORL alertent, chacun de leur côté, sur de tels risques.
Certes, selon un sondage* BVA pour le Syndicat des audioprothésistes (SDA) dévoilé mardi 23 novembre, 84 % des Français jugent la réforme du 100 % santé « bonne » et 45 % en ont eu connaissance par la publicité. Selon l'Assurance-maladie, le nombre de personnes équipées d’aides auditives a bondi de 68 % entre les premiers semestres 2019 et 2021.
Mais ces résultats satisfont autant qu'ils inquiètent le président du Syndicat des audioprothésistes, Luis Godinho. Il alerte sur « les dérapages croissants » constatés sur le terrain, avec une explosion de pratiques publicitaires et commerciales « intolérables, car au détriment de la solidarité nationale » sur des prothèses de classe 1 – les moins onéreuses, soumises à un prix limite de vente et qui relèvent de l'offre 100 % santé.
Commerce de bas étage
Selon le SDA, en 2021, l’Assurance-maladie prendra en charge 200 millions d’euros de plus sur les aides auditives par rapport à 2019, « dont une partie est liée à des pratiques répréhensibles ». « Il y a urgence à encadrer ces pratiques de commerce de bas étage et de protéger les patients fragiles avec un déficit auditif et des comorbidités », estime Luis Godinho, qui cite des promos sur des prothèses dans le cadre du « Black Friday ». « Ce n'est pas normal, pointe-t-il. Aujourd'hui, 5 à 10 % des dispositifs sont vendus avec une stimulation publicitaire forte ! L'encadrement de la vente n'a pas bougé depuis la réforme, alors que la prise en charge a changé. »
Les médecins ORL partagent la même inquiétude. Le conseil national professionnel (CNP) de la spécialité alerte sur « l'explosion de 60 à 70 % du nombre de prothèses de classe 1 vendues » depuis le 100 % santé. « Certains audioprothésistes moyennement honnêtes font du rabattage par téléphone ou vont directement dans les établissements pour personnes âgées dépendantes pour vendre des audioprothèses. Il y a un appel d'air créé par le 100 % santé », s'alarme le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d'ORL et de chirurgie cervico-faciale.
Cette phase « opportuniste » serait accentuée par une mesure dérogatoire de la réforme, qui autorise les généralistes à primo-prescrire un appareillage auditif sous réserve d'avoir suivi un DU d'audiologie pour pallier le manque de prescripteurs ORL, notamment en zones sous-denses. « Aujourd’hui, 40 % des prescriptions d’une première aide auditive émanent de ce circuit court dans lequel n’intervient pas l’ORL, explique le Pr Darrouzet. Les généralistes sont surchargés et n'ont pas accès à la formation, ce sont alors les audioprothésistes qui réalisent l’audiogramme support. On a des patients qui arrivent ensuite avec des prothèses qui ne sont pas adaptées, ou dont ils n'ont pas besoin ! »
Sanctions disciplinaires
Pour remédier à cette situation, le CNP d'ORL a fait plusieurs propositions au ministère de la Santé : possibilité de cumul d'actes en ville pour les ORL libéraux ; mise en place d'assistants en audiologie dans les cabinets ; hausse du nombre d'internes ORL médicaux, le tout pour redonner « une nouvelle vigueur à la prescription d'audioprothèses par les ORL ». « Certains se sont désengagés, en libéral le tarif d'une consultation longue avec réalisation d'un audiogramme est bloqué à 53 euros depuis des années », indique son président.
Face aux dérives publicitaires et commerciales d'une minorité d'industriels, les audioprothésistes, eux, réclament la mise en place de règles professionnelles « opposables » détaillant leurs devoirs envers les patients et les autres professions de santé, mais aussi « leurs conditions d’exercice et les sanctions disciplinaires encourues ». L’application de ces règles pourrait être confiée à une instance de régulation dédiée, tel un Ordre professionnel.
* Réalisé par internet du 15 octobre au 1er novembre 2021 auprès de 6 000 Français âgés de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.
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