L'organisation non gouvernementale (ONG) Human rights watch (HRW) mêle sa voix au concert d'accusations contre les conditions de détention en France, en consacrant un rapport à la « double peine » subie par les personnes présentant des troubles psychiatriques, rédigé à partir de la visite de huit prisons, de 50 entretiens réalisés avec des prisonniers, et de rencontres avec des membres du personnel pénitentiaire et des équipes médicales.
La prison est intrinsèquement difficile (les détenus sont sept fois plus susceptibles de se suicider que le reste de population lit-on dans l'introduction). Son impact est encore plus délétère chez les personnes souffrant de troubles psychiatriques, assure HRW, en raison de la stigmatisation dont elles sont l'objet de la part d'autres détenus, de l'angoisse causée par l'enfermement, de la surpopulation, ou encore de l'absence de prise en charge adéquate.
Selon la dernière enquête sur la santé mentale en prison de 2004, près d'un quart (23,9 %) des détenus souffrent de problèmes psychiatriques, avec une sur-représentation de la schizophrénie (qui touche 8 % des hommes, 15 % des femmes). En mai 2015, l'ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, chiffrait entre 16 000 et 17 000 le nombre de détenus atteints d'une pathologie mentale grave.
HRW attire l'attention, à la suite d'Adeline Hazan dans son avis du 25 janvier 2016, sur la situation des femmes, minoritaires, souvent entravées dans leur déplacement, isolées, voire discriminées.
HRW demande donc aux pouvoirs publics de commander une étude indépendante sur l'état de santé mentale des détenus (ventilé par sexe) dans les prisons françaises.
Seulement 0,9 poste de psychiatres pour 1 000 détenus
Le rapport alerte sur les problèmes d'accès aux soins des prisonniers ainsi que « sur la pénurie de personnel spécialisé dans la santé mentale » en prison. Selon les chiffres du ministère de la Santé, diffusés par HRW, au 31 décembre 2012, était recensé l'équivalent de 175,8 postes de psychiatres à plein-temps pour une population carcérale de 66 572 personnes. Soit une moyenne nationale de 0,9 poste pour 1 000 détenus, cachant de grandes disparités selon la présence ou non d'un service médico-psychologique régional (pour 1,46 généraliste pour 1 000 détenus).
« Le recrutement des psychiatres est un problème, a déclaré à Human Rights Watch Élise Theveny, directrice adjointe de la prison de Poissy. Le psychiatre est seul, avec l’équivalent de 0,7 poste à plein-temps. Ce n’est pas un problème budgétaire », lit-on. Autre témoignage, Bénédicte Riocreux, directrice de la prison de Château-Thierry : « le lieu géographique ne motive pas ; agir en prison ne motive pas. L’été, quand les médecins sont en vacances, ils ne sont pas toujours remplacés pour la totalité ». Une réalité connue d'un fonctionnaire du ministère de la Santé, dont HRW relate les propos : « c’est moins attractif ; ce sont davantage des militants [qui choisissent de travailler là] ».
L'ONG recommande donc au ministre de la Santé de consulter les soignants exerçant en prison sur la façon d'améliorer leurs conditions de travail, et de fournir les ressources financières nécessaires pour les attirer. Le rapport plaide pour une meilleure communication entre le personnel pénitentiaire et les soignants, et une meilleure protection du secret médical en prison.
HRW demande aussi une évaluation des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), l'augmentation des SMPR et notamment des lits pour les femmes, et des formations sur la santé mentale pour tous les surveillants.
Elle attire l'attention sur la discrimination que peuvent faire subir les services de santé aux anciens détenus après leur libération, ou les hôpitaux psychiatriques lorsqu'ils se passent du consentement libre et éclairé du détenu, ou le place sous contention ou à l'isolement, sans justification thérapeutique.
Ce rapport « fait état de propositions qui rejoignent pour partie les travaux des ministères de la Justice et de la Santé », a réagi la chancellerie. Le gouvernement a précisé qu'une « première vague de déploiement » d'unités spécialisées (UHSA et SMPR) était « en voie d'achèvement » et qu'une évaluation allait être réalisée « avant d'envisager le lancement d'un nouveau programme de construction ».
Par ailleurs, le bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) publie dans son édition du 5 avril 2016 la description de la mortalité des agents et ex-agents de l'administration pénitentiaire entre 1990 et 2008 en France. Celui-ci fait état d'un excès de suicide (+21 %) statistiquement significatif chez les surveillants hommes - déjà documenté en avril 2015 - et recommande les mesures de prévention et de suivi épidémiologique sur cette population.
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