Le spot démarre à l'hôpital avec une banale consultation autour d'une patiente âgée. On y voit trois professionnels de santé (médecin, infirmier et aide-soignant) exprimer leur mal-être avant de se suicider (par arme à feu, pendaison et défenestration). Ce court film, diffusé par l'association SPS, lors d'un colloque thématique le 30 août, précisément pour déstigmatiser le sujet du suicide des soignants et alerter, a soulevé une vive polémique (encadré).
Imitant certaines campagnes de sécurité routière, la fiction entend faire bouger les lignes sur un sujet toujours tabou, en dépit des initiatives qui restent souvent confidentielles. « Qui nous soignera quand les professionnels de santé ne seront plus là ? lance le Dr Éric Henry, président de SPS. Le film est un prétexte pour déclencher des réactions. Est-ce qu'il faut que tous les soignants quittent l'hôpital, leur métier pour que le ministère bouge enfin ? » « Trois professionnels de santé se suicident tous les deux jours », évalue avec gravité Catherine Cornibert, directrice générale de SPS.
Les études concordent
Depuis quelques années la parole se libère pourtant progressivement pour exprimer la souffrance spécifique des blouses blanches et le risque de passage à l'acte. Surtout, ce sujet devient mieux documenté. La dernière étude Amadeus (améliorer l’adaptation à l’emploi pour limiter la souffrance des soignants) a révélé en juin 2022 que 50 à 60 % des professionnels de la santé interrogés présentaient des signes d'épuisement professionnel et 30 % parlaient carrément de dépression.
En 2021, l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) a alerté sur la santé mentale dégradée des juniors. Le taux de suicide chez les internes était évalué à « un tous les 18 jours ». En 2017 déjà, 25 % des internes sondés avaient reconnu avoir déjà eu « par le passé au cours de leur carrière, des idées suicidaires en raison de leur travail ». Chez les étudiants en médecine, une enquête de 2021 conduite par les associations a pointé des idées suicidaires chez près d'un jeune sur cinq. Et bien avant la crise sanitaire, l'association SPS, dans son enquête « suicide et professionnels de santé » de 2017, montrait que le quart des soignants interrogés avaient eu des idées suicidaires au cours de leur carrière (dont parmi eux 39 % en milieu rural).
3114, Nightline, SPS, Lipseim…
Dans ce contexte, ce n'est pas tant le nombre d'initiatives qui font défaut que leur coordination et donc leur visibilité. Le ministère de la Santé a lancé en octobre 2021 le 3114, numéro national de prévention du suicide, gratuit, disponible 7j/7, 24h/24. Au bout du fil, des psychiatres, infirmiers spécialisés et psychologues formés sont chargés de répondre aux personnes en détresse psychologique et de trouver une réponse adaptée, y compris aux professionnels de santé, « à la recherche d'avis spécialisé ». La stratégie nationale de prévention du suicide a été revue fin juillet, avec l'extension territoriale du programme Vigilans, dispositif de veille et de maintien du lien auprès des personnes suicidantes à la sortie d’un service de soins.
Mais cette politique nationale ne va pas « assez vite et assez loin » pour certaines associations d'entraide des soignants qui multiplient les initiatives, sans forcément de coordination. C'est le cas de l'association SPS qui propose depuis 2016 une plateforme d'écoute via un numéro vert (0805 23 23 36) pour les soignants en souffrance. En six ans, elle revendique « plus de 18 000 appels dont 14 000 après la crise sanitaire », et « 100 % de décrochés » par des psychologues cliniciens formés. Près de 50 % des recours ont fait l’objet d’une réorientation, notamment vers un psychologue en face-à-face (20 %), le médecin traitant (10 %), le psychiatre (8 %) ou d’autres réseaux (Morphée, médecine du travail, médecine universitaire, associations, service social).
Nightline propose de son côté une ligne d'écoute pour étudiants de 21 heures à 2 heures du matin avec des étudiants bénévoles formés. L'objectif est de créer un lien et de réorienter certains appelants vers des services en cas de besoin spécifique, explique Camille Vansimaeys, psychologue et responsable de recherche de Nightline. L'an dernier, elle a reçu 6 000 appels sur l'année universitaire dont 10 % concerneraient des risques suicidaires. « Il y a une part non négligeable des appels qui proviennent des étudiants en santé », révèle-t-elle. Nightline a signé un partenariat avec le 3114 pour cadrer son intervention.
S'attaquer aux causes
La Ligue pour la santé des étudiants et internes en médecine (Lipseim) se mobilise comme lanceur d'alerte pour briser l'omerta. Créée en 2020 par Laurence Marbach, DRH, un an après le suicide de sa fille interne victime d'épuisement professionnel, cette association fait de la prévention sur les risques psychosociaux dans les facs de médecine. Elle souhaite s'attaquer aux causes de la souffrance, en appelant au changement dans l'organisation, le management et le temps de travail à l'hôpital. « On a écrit cet été aux directeurs de CHU pour leur demander de respecter le temps de travail des internes », révèle Laurence Marbach, prête à porter ce dossier devant les tribunaux administratifs.
Président de l'Intersyndicale nationale des internes (Isni), qui achève son mandat, le Dr Gaëtan Casanova a souvent porté cette problématique. « Lorsqu'on est épuisé, avec des conditions de travail dégradées, l'écoute bienveillante d'une psychologue ne suffit pas toujours », déplore-t-il. Le syndicat exhorte depuis longtemps l'État à faire respecter la loi sur le temps de travail. « Est-ce que les pouvoirs publics ont bougé ? Il y a des réunions mais pas de faits ».
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