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Dossier

Téléphonie mobile : la santé dans le brouillard de la 5G

Par Damien Coulomb - Publié le 17/02/2020
Téléphonie mobile : la santé dans le brouillard de la 5G

Les longueurs d'onde courte pénètrent très peu dans l'organisme
Phanie

L'année 2020 verra en France le déploiement de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile, ou 5G. Mais que sait-on des éventuels effets sur la santé de ce véritable « fog » d'ondes électromagnétiques ? Si les données sur les technologies antérieures se veulent rassurantes, il reste des points d'ombre que la prochaine expertise de l'ANSES va tenter d'éclaircir.

Dans le rapport préliminaire à sa prochaine d'expertise (dont le résultat est attendu pour le premier trimestre 2021), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) pointe un manque de données concernant les effets des ondes supérieures à 3 GHz, spécifiques à la 5G à venir.

Même si les données accumulées sur les fréquences plus faibles sont a priori rassurantes, « la question qui fâche au niveau sociétal, c'est que de nouveaux appareils émetteurs vont être déployés sans qu'on ait de recul, affirme Brahim Selmaoui, chercheur au département de toxicologie expérimental de l'Institut national de l'environnement et des risques (INERIS). Personne, à part les opérateurs, n'y a eu accès. » L'INERIS mène en ce moment des campagnes de mesure d'exposition en Corée du Sud, le seul pays avec l'Australie à avoir déployé la 5G à grande échelle.

La technologie 5G rassemble aussi bien les applications de téléphonie mobile à très haut débit, comme le jeu vidéo en streaming, que l'utilisation des objets connectés par les entreprises ou les particuliers. Ces flux de données dix fois plus massifs que ce qui transite actuellement par la 4G mobilisent de nouvelles gammes de fréquences : aux fréquences de 800, 900, 1800, 2 100 et 2 600 MHz déjà exploitées, s'ajouteront celles de 3,5 GHz et 26 GHz, puis possiblement 60 GHz pour certains objets connectés. Problème : l'ANSES ne ressense que cinq études sur les longueurs d'onde supérieures à 3 GHz.

« Peut-être cancérigène »

En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les champs électromagnétiques dans le groupe 2B « peut-être cancérigène pour l'homme ». Le centre de recherche de l'OMS avait reconnu que les données disponibles étaient « limitées chez les utilisateurs de téléphones sans fil pour le gliome et le neurinome de l’acoustique, et insuffisantes pour être concluantes pour les autres types de cancers ».

À l’époque, la principale étude disponible était l'étude cas contrôle INTERPHONE (1) pilotée par le CIRC. Cette étude suggère une augmentation de 40 % du risque de gliome et de 15 % du risque de méningiome chez les plus gros utilisateurs de téléphone portable (plus de 1 640 heures d'utilisation cumulées par an). Toutefois, les chercheurs affichent une confiance limitée dans ces résultats : « il existe des valeurs invraisemblables d'utilisation rapportée dans ce groupe », expliquent-ils, concluant finalement qu' « aucune augmentation du risque de gliome ou de méningiome n'a pu être observée ».

En 2011, l'étude cas contrôle CEFALO (2) a comparé 352 jeunes patients (7 à 19 ans) atteints de tumeurs cérébrales à 646 contrôles et à leurs parents. L'usage régulier du téléphone mobile n'était pas associé à une augmentation significative du risque de tumeurs cérébrales. Plus récemment, en 2018, deux rapports du programme national américain de toxicologie (NTP) ont conclu à une augmentation des schwannomes malins au niveau des tissus nerveux de la région du cœur, chez le rat mâle ou chez les souris mâles et femelles soumis à des niveaux d'exposition parmi les plus élevés admis aujourd'hui pour les téléphones portables.

Bien que les auteurs aient conclu que ces résultats ne puissent être extrapolés à l'utilisation chez l'homme, « ces données et quelques autres justifient que l'on se penche à nouveau sur ces questions », juge Olivier Merckel, de la direction de l'évaluation des risques de l'ANSES. « Il y a des études contradictoires et conflictuelles, résume pour sa part Brahim Selmaoui, mais quand on fait la synthèse, les études bien réalisées ne trouvent pas d’effet dans les valeurs réglementaires. »

En ce qui concerne les études mécanistiques, l'effet thermique est le principal suspect des chercheurs. C'est d'ailleurs sur la base de ce seul effet que la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (CIPRNI) a fixé un seuil réglementaire d'exposition à 1 MW/cm2. « On parle beaucoup des effets thermiques, sur la mutagenèse notamment, qui pourraient intervenir en dessous de ces valeurs, explique cependant Brahim Selmaoui. Mais les liens évoqués sont purement statistiques ».

Par ailleurs, les longueurs d'onde courte, typiquement celles spécifiques à la 5G, pénètrent très peu dans l'organisme et restent bloquées au niveau de la peau. « Il faut mener des études complémentaires sur l'effet que pourraient avoir ses rayonnements sur le système immunitaire au niveau de la peau et sur la répercussion au niveau des différents organes internes, estime Brahim Selmaoui. Des études sur l'animal entier seraient nécessaires. »

Une exposition plus complexe à évaluer

Le passage à la 5G ne joue pas que sur les fréquences, mais bouleverse aussi les modes d'exposition. Les antennes relais sont plus petites, plus nombreuses, et capables de focaliser des ondes directionnelles vers un utilisateur ayant besoin de davantage de débit à un instant donné. Les experts contactés par « Le Quotidien » estiment que l'exposition moyenne de la population devrait être moins élevée, mais que les utilisateurs et leur environnement immédiat seront ponctuellement soumis à de fortes concentrations d'ondes.

Ce mode de fonctionnement complique les études sur les niveaux d'exposition. Jusqu'ici, des organismes comme l'ANSES adoptaient une approche maximisante consistant à se baser sur un scénario d'exposition maximal. « Avec la 5G, les scénarios d'exposition maximale atteignent des niveaux d'énergie transmise, bien supérieurs aux limites fixées, explique Olivier Merckel. Sauf que ces scénarios sont irréalistes en vie réelle. »

Une recherche éclatée

Les études publiées dans le domaine de l'impact de l'exposition aux rayonnements électromagnétiques non ionisant sont aussi variées en termes de méthodologie qu'en qualité. Un constat qui préoccupe Olivier Merckel, qui y voit le signe d'un éclatement de la recherche. « Chacun y va de son hypothèse, regrette-t-il. Il manque aujourd’hui une coordination de la recherche sur ces sujets ».

C'est ce à quoi l'ANSES tente de remédier, par ses appels à projet, mais aussi via sa contribution à des programmes internationaux, telle que l'étude de cohorte prospective COSMOS. Cette dernière doit rassembler plus de 300 000 participants dans six pays dont la France. Les données d'exposition aux ondes de la téléphonie mobile, mais aussi au wi-fi, seront mesurées de façon très précise, et renseigneront le lien possible avec les risques de cancer, mais aussi de maux de tête, troubles du sommeil, pathologies cardiovasculaires et neurologiques.

(1) INTERPHONE Study Group, Int J Epid, Volume 39, Issue 3, 2010
(2) D Aydins et al, JNCI, Volume 103, Issue 16, 2011

Damien Coulomb