Nous sommes en décembre 2016 à San Antonio, Texas. C’est là que se tient la grand-messe annuelle sur le cancer du sein, le SABCS, San Antonio Breast Cancer Symposium. L’orateur attendu par quelques milliers de personnes, c’est Eric Winer, un des leaders mondiaux dans le domaine. Il travaille à Boston, au Dana-Farber Institute, qui fait partie de Harvard.
Mais cet après-midi-là, inoubliable pour beaucoup d’entre nous, Winer, après avoir parlé de la situation concernant l’évolution des traitements et les progrès réalisés, va carrément se mettre à nu, du moins symboliquement. « Je vais vous dire quelque chose que peu de gens savent » murmure-t-il presque. « Je suis hémophile et j’ai été contaminé très jeune par le VIH et le virus de l’hépatite C ».
Et là, il raconte, l’arrivée des concentrés de facteur VIII qui devaient changer la vie des hémophiles mais qui les contamineront car obtenus à partir de milliers de plasmas « poolés », les souffrances des traitements interféron-ribavirine, la discrimination subie au début des études médicales. « J’ai eu de la chance de pouvoir accéder à des traitements qui coûtaient jusqu’à six cent mille dollars ici », ajouta-t-il, un luxe auquel beaucoup n’avaient pas accès.
Il nous raconta alors comment cela a forgé une partie de sa carrière d’oncologue. « J’ai mieux compris l’attente des patientes, le besoin de savoir, leurs phases de découragement, leur volonté d’être des partenaires, d’être associées à la décision ». Il dit aussi combien la recherche avait besoin d’argent, et combien elle en manquait. Tout a fini par une longue ovation de la salle, debout.
Qu’on ne s’y méprenne pas, il n’y a pas besoin d’avoir été ou d’être malade pour être médecin. Mais il y a besoin de savoir qui sont ces femmes et ses hommes allongés dans des lits, en tenue uniformisée. Avant de devoir rédiger l’histoire de la maladie, ce serait bien de savoir, souvent, ce qu’était cette vie avant la maladie.
Pourquoi, à l’instar des écoles d’ingénieurs et de leurs stages « ouvriers », ne pas apprendre à observer et décrire un poste de travail, par exemple. Ce serait une bonne porte d’entrée pour découvrir la sémiologie. Comprendre ainsi que des horaires postés en 2x8 ou 3x8 n’aident pas forcément à l’observance d’un traitement. Voir ce qu’est la vie d’une femme d’artisan, enceinte, mais qui fait des heures et des heures derrière le comptoir de la boulangerie ou de la charcuterie. Et je n’oublie pas le monde agricole, loin des images à la Madame de Sévigné.
Le quotidien réel de nos malades
On m’objectera, à juste titre, que les stages auprès des médecins généralistes offrent déjà la possibilité de voir ce qu’est la médecine hors les murs de l’hôpital. Mais la très compréhensible raréfaction des visites à domicile ne permet pas toujours d’apprécier la façon dont vivent les patients.
Pendant quelques années, j’ai remplacé des médecins aux confins de la Touraine du Maine et de l’Anjou. Je faisais chaque jour près de 120 kilomètres en visite. Mais cette contrainte était en quelque sorte compensée par le fait de voir comment vivait cette patientèle. Il y avait aussi bien des ruraux encore plus durs au mal qu’on le raconte, ou la directrice d’école qui m’attendait, Larousse médical ouvert, pour voir si j’allais la conforter dans son diagnostic. Eh oui, Google n’a rien inventé !
J’ai passé trois heures en pleine nuit, un fusil braqué sur moi chez un monsieur qui allait mal et dont la femme m’a appelé sous un prétexte. J’ai fait aussi de belles rencontres, vécu des moments intenses. Une dame âgée, qui savait quel était son diagnostic et qui arrivait au bout du chemin m’a demandé d’une petite voix à peine audible « on est bien d’accord, vous ne m’envoyez pas à l’hôpital ». Elle est partie en paix, chez elle. Et il y a eu des moments heureux, des gens que je croise encore 40 ans plus tard.
Plus j’écoutais Eric Winer et plus ces moments refaisaient surface. Comme sa maladie l’a conduit à mieux comprendre les attentes, les espoirs mais aussi les désespoirs de ses patientes, j’ai appris au contact de ces femmes et de ces hommes, qui m’ont accepté dans leur maison, qui m’ont accordé leur confiance et que j’ai essayé au mieux de prendre en charge.
Ce travail de terrain, vivre la difficulté des tâches, appréhender certaines réalités familiales, enrichissent tant la façon d’être médecin. Cet après-midi-là, à San Antonio, tout près des vestiges de Fort Alamo, Eric Winer m’a fait comprendre ce que voulait dire l’expression « supplément d’âme ».
Bonnes vacances.
Exergue : Cet après-midi-là, à San Antonio, tout près des vestiges de Fort Alamo, Eric Winer m’a fait comprendre ce que voulait dire l’expression « supplément d’âme ».
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