Vous arrive-t-il de pratiquer des actes inutiles ou non pertinents ? Pour quelles raisons ?
• La psychiatre : « Les prescriptions inutiles, je n’ai pas l’impression d’en faire car je prescris peu de traitement. Mais la question se pose pour les patients « institutionnalisés », parfois dans un état déplorable par surprescription de benzodiazépines. Moins il y a de psychiatres dans un service et plus il y a de surprescription, avec tous les risques iatrogéniques que cela comporte.En addictologie il y a des actes inutiles : la tarification à l’activité a orienté massivement le soin vers des hospitalisations car cela rapporte plus d’argent à l’hôpital que le suivi ambulatoire. Certains patients enchaînent 15 ou 20 séjours pour un sevrage, sans aucun travail de fond. Ils rechutent souvent ».
• Le neurochirurgien : « Il m’arrive de prescrire un examen à titre préventif, en sachant qu’il s’avérera normal de façon quasi certaine. La lésion envisagée, même rarissime, ne me laisse pas le choix. Si elle a lieu, je suis sûr d’aller au tribunal. Le fait d’avoir un dossier complet avec tous les papiers agrafés dans le bon sens importe plus que la qualité des soins ».
• La généraliste d’Ile-de-France : « Ce qui me touche le plus au quotidien, c’est le manque de temps. Quand je finis par prescrire ce que je trouve inutile, c’est parce que j’ai abandonné l’idée d’expliquer que ça ne sert à rien. On reçoit tout au cabinet, les problèmes de couple, les galères de boulot. On médicalise des problèmes non médicaux ».
• La généraliste de Bourgogne : « C’est un sujet de société. Le médecin est devenu le garant d’une vie infinie, sans souffrance. La France n’est pas le premier consommateur de neuroleptiques à cause des médecins qui prescrivent trop facilement, mais parce que le médicament est une béquille pour continuer de vivre ».
Où puisez-vous l’information pour délivrer le meilleur soin possible ? Suivez-vous les recommandations officielles (HAS, sociétés savantes) ?
• La généraliste de Bourgogne : « J’ai créé des alertes sur le site HAS pour suivre les bonnes pratiques en gériatrie. En tant que médecin coordonnateur d’un EHPAD je suis à la fois prescripteur et garant de la bonne prescription de mes confrères ».
• La généraliste d’Ile-de-France : « C’est difficile de savoir où trouver une information sûre. Ce que dit la HAS est parfois discutable. Le dépistage massif n’est pas toujours une bonne idée : je pense à l’Hémoccult (un test de dépistage du cancer colorectal qui peut faire des faux positifs, NDLR). Je doute aussi de plus en plus de ce que disent les sociétés savantes, à cause des conflits d’intérêt. J’ai beaucoup prescrit l’Orelox jusqu’au jour où j’ai constaté que les gens revenaient. Trois mois après, il a été dit que ce médicament ne devait plus être utilisé pour les otites à cause d’une trop grande résistance ».
• Le neurochirurgien : « Une recommandation, c’est un repère, pas un ordre. Chaque consultation est personnelle, il faut garder son libre arbitre. Celui qui signe l’ordonnance ou qui porte le fer au bloc, c’est le seul responsable et le premier à devoir se justifier. La balance bénéfice risque reste notre premier critère. Il y a quelques années, il a été recommandé de poser les électrodes médullaires en ambulatoire. Je ne l’ai pas fait en raison du risque d’hématome épidural qui impose 3 jours de surveillance postopératoire. La recommandation n’a pas été reconduite. Des arrières pensées économiques imprègnent toutes les recommandations ».
• La psychiatre : « Pour m’informer en psychiatrie, la seule chose qui arrive à me convaincre, ce sont les congrès. Les recommandations HAS font des centaines de pages, je n’y comprends rien. Si j’ai le nez dessus pour travailler, cela parasite ma relation avec le patient ».
La check-list opératoire vous paraît-elle efficace ?
• Le neurochirurgien : « Elle a le mérite d’exister, mais elle est souvent préremplie par l’infirmier le matin, alors que le patient n’est pas encore en salle. Tout ce qui est systématique est contourné. Ce n’est pas une feuille A4 qui peut réduire l’ensemble des risques dans toutes les spécialités chirurgicales, en ambulatoire et en hospitalier. Rien ne vaut les réunions entre pairs où l’on parle de nos erreurs ».
Quel regard portez-vous sur l’évaluation des pratiques professionnelles ?
• La psychiatre : « J’ai vécu une procédure d’EPP visant à améliorer la prise en charge d’adolescents suicidants qui a mobilisé toute l’équipe du CMP une demi-journée par semaine, pendant 3 mois. Pendant ce temps la porte du CMP était fermée et les consultations en urgence n’étaient pas effectuées. Et au final, la pratique n’a pas franchement été améliorée ».
• La généraliste de Bourgogne : « C’est même contre productif car cela crée un stress délétère au sein des équipes qui ne sont pas liées par un projet médical, mais ont l’obsession d’être bien notées. Je reçois à l’instant un message de la HAS pour promouvoir la bientraitance dans les établissements de santé. Alors que toute mon équipe en EHPAD se bat pour offrir aux patients âgés des soins dentaires, des massages à visée antalgique, du tai-chi... Pourquoi les pouvoirs politiques ne nous aiment-ils pas ? Pourquoi ne nous font-ils pas confiance ? ».
Votre pratique a-t-elle déjà été contrôlée ?
• La généraliste d’Ile-de-France : « Un agent de la CPAM vient me voir tous les 3 mois pour me rappeler ce que je dois faire. Je veux bien être jugée par mes pairs, pas par une administration qui a des objectifs plus économiques que scientifiques ».
• La psychiatre : « Les généralistes qui prescrivent les traitements substitutifs aux opiacés font l’objet d’un harcèlement hebdomadaire. Ce qui est validé est soumis à un contrôle incessant. Cela ne colle pas avec l’idée d’expérimenter les salles de shoot ».
• La généraliste de Bourgogne : « La CPAM ne m’a jamais contrôlée. En revanche, l’ARS me limite beaucoup. Elle dépense beaucoup d’argent pour nous donner des orientations, mais elle ne se bouge pas pour des sujets très concrets en lien direct avec la qualité des soins et le service rendu à la population. Je cours depuis deux ans derrière un bus de soins dentaires pour les milieux fermés, mais je ne vois rien venir. On me demande de faire le bilan des chutes en EHPAD. Je l’ai fait en y passant un temps fou, et au final j’ai demandé une infirmière de plus la nuit. On m’a répondu que ce n’était pas la norme ».
• Le neurochirurgien : « Plusieurs fois par semaine je dois justifier mes arrêts de travail ou mes bons de transports. C’est très pesant. Un jour j’ai reçu une lettre de la MSA me reprochant de prescrire hors AMM les patchs de lidocaïne pour des douleurs neuropathiques localisées. J’ai expliqué cela faisait l’objet d’un accord professionnel validé par les références internationales. On m’a répondu que non, et que je devrais tout rembourser. Tous mes confrères le font pourtant! Depuis j’ai arrêté cette prescription. J’informe mes patients qu’ils pourraient avoir droit au traitement, mais que la MSA a une lecture très stricte de l’AMM ».
Faites-vous confiance aux agences sanitaires et à la politique de pertinence des soins qu’elles déploient ?
• Le neurochirurgien : « Non. Depuis dix ans le débat sur la santé est biaisé. Oui, les médecins coûtent de l’argent. Mais nous payons des charges sociales, nous créons des emplois. Nous passons un temps fou en réunion au lieu d’être auprès de nos patients. Qui évalue l’intérêt d’avoir perdu autant de temps thérapeutique, pour répondre à des critères qualité dont on ne sait pas la pertinence ? Redonnez-nous du temps clinique, arrêtez de nous suradministrer, et faites confiance à nos pairs! Les organismes agréés et le conseil de l’ordre sont là pour contrôler les praticiens suspects ».
• La généraliste de Bourgogne : « Mais combien coûtent toutes ces agences ? ».
• La psychiatre : « Est-ce pertinent d’évaluer en permanence la qualité ? ».
• La généraliste d’Ile-de-France : « Si on faisait juste notre travail médical, ce serait quasiment à chaque fois pertinent ».
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