Nouveau secrétaire perpétuel et nouveau président

Continuité dans le consensus pour l’Académie

Publié le 11/01/2011
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LA CONTINUITÉ dans le consensus. Telle pourrait être la devise programmatique du nouveau perpétuel de l’Académie nationale de médecine, le Pr André-Raymond Ardaillou. Pendant les deux mandats (2003-2010) de son prédécesseur, le Pr Jacques-Louis Binet, il fut son adjoint, contribuant à la rénovation de l’Académie. « Ce furent des années très novatrices, souligne-t-il, nous avons réveillé une institution qui s’était quelque peu endormie. Sans être forcément saisie par les autorités, l’Académie s’est emparée elle-même de tous les grands sujets débattus en santé publique ; et avec ses 250 membres (titulaires et correspondants), elle a pu faire entendre haut et fort la voix de son indépendance et de la diversité de ses compétences. En m’élisant, je crois que les académiciens ont voulu saluer l’œuvre réalisée. »

Sur le plan scientifique, le Pr Ardaillou s’est acquis une réputation internationale par ses travaux sur la physiopathologie rénale et le contrôle hormonal des fonctions rénales (il fut le pionnier dans le domaine de la physiologie du glomérule). Directeur de l’unité INSERM 64 Néphrologie normale et pathologique à l’hôpital Tenon (Paris), il a été le patron du service d’explorations fonctionnelles de cet établissement pendant plus de 30 ans. « J’ai eu la chance de faire mes débuts d’interne dans le sillage de Jean Hamburger, de Jean Lenègre et de Jean Bernard, à une époque passionnante, raconte-t-il : les médecins français, qui avaient jusqu’alors essentiellement raisonné par analogie dans l’examen des cas, découvraient le raisonnement scientifique. Ce fut le temps du défi, relevé par la médecine française, de rejoindre le niveau et les performances de la médecine américaine. »

Quelques décennies plus tard, l’enthousiasme semble émoussé, juge aujourd’hui le Pr Ardaillou : « La France est devenue frileuse, sous l’empire d’un principe de précaution qui a souvent viré au principe d’inaction. Certes, il existe des contraintes parfaitement justifiées, résumées par l’adage latin "primum non nocere", mais d’autres règles constituent des entraves sérieuses pour les avancées scientifiques. La situation est telle que je me demande si, dans l’environnement actuel, les premiers essais de transplantation rénale pourraient être réalisés. »

Une petite entreprise.

Le nouveau secrétaire perpétuel va maintenant se consacrer à sa double mission : « L’Académie constitue une petite entreprise en termes de personnel et d’organisation, j’en deviens le gestionnaire, explique-t-il. En même temps, il me revient un travail de réflexion et d’innovation ; je dois me tenir à l’écoute de l’actualité et, en étroite liaison avec le conseil d’administration, stimuler des initiatives comme la création de groupes de travail au sein de nos commissions spécialisées qui, après audition d’experts, examen de la littérature et discussions, proposeront à l’Académie des recommandations, aussi bien à l’attention de l’opinion que de celle des pouvoirs publics. »

Alors que l’actualité de ce début d’année est défrayée par l’affaire du Mediator, le Pr Ardaillou estime que l’Académie ne dispose d’aucun élément pour porter un jugement sur ce qui constitue, à ses yeux, un cas particulier : « Au-delà de ce cas spécifique, observe-t-il, ce qui en revanche nous intéresse, c’est une double problématique : d’une part celle de l’organisation du recueil des informations au cours de la phase IV, d’autre part, la question difficile des procédés à utiliser pour juger de l’imputabilité d’accidents à un médicament donné. Le problème est très différent pour un médicament dont l’utilité thérapeutique est douteuse. Il convient dans ce cas de le retirer rapidement du marché. En revanche, lorsque le bénéfice est certain dans une ou des indications données, la décision est plus difficile à prendre et le rapport bénéfice/ risque doit être soigneusement évalué. Nous n’avons pas attendu qu’éclate cette affaire pour nous pencher sur ces questions. Un groupe de travail existe déjà, sous la responsabilité du Pr Patrice Queneau, dont les conclusions seront rendues publiques dans le courant de l’année, en dehors de toute précipitation médiatique préjudiciable au sérieux des réflexions. »

L’éthique et la science.

Le nouveau perpéputel est rejoint par le nouveau président, Pierre Joly. Connu pour avoir été tour à tour toxicologue hospitalo-universitaire, conseil en toxicologie dans l’industrie du médicament (il a été de 1972 à 1993 vice-président du directoire et directeur général de Roussel-Uclaf, président de la Fédération internationale des produits de santé), enfin président, depuis 1993, de la Fondation pour la recherche médicale, que fondèrent Jean Bernard, Jean Hamburger et Jean Dausset, celui-ci souligne tout d’abord qu’« il ne saurait être question de descendre dans l’arène médiatique et de s’aventurer dans le maelström stérile, où les bateleurs condamnent des supposés méchants sans avoir même pris le temps d’instruire un procès équitable ».

« L’agitation n’est pas notre truc, insiste-t-il. En revanche, le métier de l’Académie, c’est toujours de veiller à la santé des Français. Et nous avons montré ces derniers temps que nous avons à cœur d’en être proches, avec des publications, par exemple, sur les rythmes scolaires, la vaccination, les cabines à bronzer, ou le secourisme. Chaque fois, nous faisons un travail de réflexion, nous expliquons les problèmes et nous alertons les décideurs sur les points qui nous apparaissent importants. Nous le faisons en vertu des deux critères qui nous importent, l’éthique et la science, laissant à d’autres, comme les autorités ordinales, ce qui relève de la discipline dans l’exercice médical. »

Vigilance.

Sur un sujet comme le Mediator, Pierre Joly assure que le groupe de travail confié au Pr Queneau va faire « une analyse sur le fond, avec le recul indispensable » : « Nous ne saurions rester insensibles face à une problématique qui n’est pas seulement celle de la pharmacovigilance, mais, me semble-t-il, de la vigilance en général. »

Somme toute, rue Bonaparte il faut donner du temps au temps. « Notre temps n’est pas le temps journalistique, souligne encore Pierre Joly. En le prenant, nous garantissons l’indépendance politique et économique de l’Académie et la liberté dans nos débats. Parce que la durée est la condition de la réussite, je suis solidaire de mes prédécesseurs dans mes principaux objectifs : introduire un peu de modernisme dans notre gestion, développer notre rayonnement, auprès du grand public comme de la communauté scientifique, et promouvoir la médecine française dans le monde. »

Concernant la délicate réforme des statuts, le Pr Ardaillou fait sienne cette prime à la continuité : « Mon prédécesseur, le Pr Binet, et le président précédent, le Pr Henrion, ont identifié trois points qui méritent analyse et rejoignent en partie les propositions qu’avaient faites deux anciens présidents. Cette réforme se fera à son rythme et dans le consensus. »

CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8882