Le débat sur les nanotechnologies

Espoirs et malheurs de la démocratie sanitaire

Publié le 17/12/2010
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Crédit photo : PHANIE

L’ACTUALITÉ de l’hiver 2009-2010 a été régulièrement réchauffée par l’accueil chaleureux que les perturbateurs du débat national sur les nanotechnologies réservaient avec constance aux réunions publiques qui sillonnaient la France. Au lieu des 10 000 - 15 000 personnes attendues, le « débat national sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies », commandité par 7 ministères, en accueillera dans ses réunions publiques... 3 216.

À première vue, voilà donc un débat « compliqué, perturbé, controversé », bref, un « nanodébat » empêtré. Voire inutile ? Mais qu’en est-il in fine ? Comment les uns et les autres voient cette aventure ? Et surtout, quels enseignements en tire l’État ?

* La CNDP : « Le débat a eu lieu »

Mi-avril, lors de la remise de ses conclusions (« le Quotidien » du 15 avril), Philippe Deslandes, le président de la CNDP, a félicité la Commission particulière dédiée à ce débat (CPDP) d’avoir tenu bon et « permis à la démocratie de tenir le dernier mot ». Deux arguments à la clé, il a jugé l’action réussie, malgré tout. D’abord, la médiatisation du débat – 1 175 retombées à ce moment-là, dont environ la moitié a traité du « fond » – a rendu publique la thématique jusque-là réservée aux spécialistes. Deuxièmement, l’éventail des avis recueillis est assez large pour faire émerger des aspects représentatifs.

* FNE : « C’est devenu un sujet de discussion avec M. et Mme tout le monde »

La fédération France Nature Environnement, FNE, ne porte pas les nanotechnologies dans son cœur. Dès 2006, elle a demandé un moratoire partiel sur les produits grand public en contact direct avec le corps humain, hors médicaments. José Cambou, sa secrétaire nationale et pilote de son réseau Santé Environnement, salue pourtant le travail de la CPDP. Son analyse rejoint celle de la CNDP. « Quelles qu’aient été ses perturbations, le débat a donné accès à chacun à une masse d’informations, il a fait que les nanotechnologies sont, à présent, un sujet traité régulièrement dans des médias grand public. On a sauté l’étape des connaissances confinées. Il a aussi démontré que, dans le monde des nanos, il y a des questions de toxicologie, d’écotoxicologie, de libertés individuelles et d’éthique. »

* Et que dit l’État ?

En interrogeant Catherine Larrieu, le chef de la délégation développement durable au ministère de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement, en charge du dossier, il apparaît que ce débat a servi bien des objectifs. Moyen d’attirer l’attention des médias, il a réussi à diffuser massivement la thématique dans le public. Il devait aussi « dresser le paysage à l’usage des entreprises ». But, les aider à choisir des orientations, en sachant que dans ces secteurs la R & D est longue et que nul ne souhaite que des produits qui ont mis dix ans pour arriver sur le marché se voient interdits ou boycottés. Mais il a permis aussi à d’autres messages de percer.

Ainsi, l’État pouvait apprendre que le peuple, sans s’affoler, veut des normes et de la traçabilité. Il dit l’avoir entendu et s’investir davantage dans des travaux réglementaires internationaux en cours et plancher en interministériel sur la question de la traçabilité. Les décrets sont attendus en2011.

L’industrie pouvait saisir des échos sur la perception – peu flatteuse ! – que le public a de son fonctionnement mercantile et peu éthique... L’a-t-elle entendue ? « Le ministère est loin d’être pessimiste à ce sujet », dit Catherine Larrieu, car il y a eu des entreprises dans le débat, une implication des syndicats...

Enfin, les chercheurs pouvaient comprendre que les Français leur demandent de faire aussi de la recherche utile, guidée par des intérêts sanitaires, ici la toxicologie, l’écotoxicologie, le cycle de vie. La répartition des fonds proposés en 2011 par l’Agence nationale de recherche montrera si ça a été entendu.

Quoi qu’il en soit, il serait bon que des réponses pilotées par l’État commencent à arriver. Car, à force de rester silencieux, il donne de l’eau au moulin à ceux qui estiment que ce débat, qui a coûté 3,5 millions d’euros, n’était qu’un leurre, une démocratie « Cause toujours ».

ALEKSANDRA BOGDANOVIC-GUILLON
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Source : Le Quotidien du Médecin: 8879