QUE CE SOIENT son crâne, ses dents, son pelvis, ses mains, ses pieds, ou d’autres os, Ardipithecus ramidus, un hominidé qui vivait il y a 4,4 millions d’années dans ce qui est maintenant l’Éthiopie, a des caractéristiques physiques inattendues pour les paléoanthropologues. Alors que son ancienneté le rapproche d’un ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés, contre toute attente, l’apparence de ses os l’éloigne de ces derniers. Cette découverte qui résulte de la collaboration de plusieurs études internationales, annoncée lors d‘une conférence de presse simultanée à Washington et à Addis Abeba, est publiée aujourd’hui dans « Science ».
Les études paléontologiques antérieures ont conduit à déterminer que le dernier ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés aurait vécu il y a 6 millions d’années ou plus. Ardipithecus, qui est plus vieux d’un million d’années que « Lucy », l’ Australopithecus afarensis femelle dont le squelette partiel a été découvert en 1974, lui aussi dans la vallée de l’Aouache, se doit de partager plus de traits avec l’ancêtre commun que celle-ci, qui a longtemps servi de point de référence.
La description des os d’Ardipithecus a été réalisée par l’équipe de T.D. White, de l’université de Californie, à Berkeley, à partir de la découverte de 110 spécimens, et plus particulièrement d’un squelette partiel, correspondant à un individu féminin, surnommé « Ardi », d’une taille approximative de 1 mètre 20 et d’un poids de 50 kilos. Elle a permis aux chercheurs de déterminer qu’Ardi possédait un mélange de traits « primitifs » communs à ses prédécesseurs, les primates de la période du Miocène, et de traits « dérivés » que l’on retrouve chez les hominidés ultérieurs.
Grâce à des études de la faune et de la flore associées aux ossements fossiles découverts, auxquelles ont participé notamment l’équipe d’Antoine Louchart, de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon, les chercheurs ont établi qu’Ardi et ses contemporains vivaient dans un environnement forestier. L’étude des mains, des pieds (à la fois rigides pour supporter le poids du corps mais aussi dotés d’un gros orteil opposable utile pour grimper) et du pelvis montre que Ardipithecus grimpait le long des branches à quatre pattes – comme certains primates de la période Miocène antérieure – mais marchait debout, droit, sur ses deux jambes lorsqu’il était sur le sol et pouvait même courir. La main et le poignet d’ Ardy, indiquent C. Owen Lovejoy, de Kent State University, dans l’Ohio, et son équipe, sont une mosaïque de traits primitifs. Les doigts sont longs, mais les articulations des poignets et celles entre les paumes relativement courtes et les doigts, sont flexibles, permettant de supporter le corps sur la paume lors du déplacement sur les branches des arbres. Ces articulations sont plus rigides chez les chimpanzés et les gorilles qui portent leur poids sur leurs phalanges.
Un être mosaïque.
Les dents et le crâne d’Ardipithecus sont assez différents de ceux d’Australopithecus et de ceux des grands singes modernes. Gen Suwa, de l’université de Tokyo, et ses collègues, ont constaté que les canines supérieures sont plus proches des canines humaines que des longues canines pointues et acérées des chimpanzés mâles et de nombreux autres primates. Ce qui suggère une créature moins agressive. Une analyse de l’émail indique également un régime alimentaire omnivore, incluant des fruits, diverses noix et des feuilles. Néanmoins, Ardi avait un cerveau plus petit que celui d’Australopithecus et semblable à celui des bonobos et des femelles chimpanzés.
« Nous avons avec Ardipithecus une forme non spécialisée qui n’a pas beaucoup évolué vers Australopithecus. Aussi, lorsque vous l’examinez de la tête aux pieds, vous vous trouvez en présence d’un être mosaïque qui n’est ni chimpanzé, ni humain », explique Tim White, l’un des principaux auteurs de cette recherche.
Les résultats de ces travaux suggèrent que les hominidés et les grands singes africains ont chacun
suivi des chemins évolutifs différents et que les chimpanzés ne peuvent pas servir de modèle pour le dernier ancêtre commun.
C. Lovejoy et ses collaborateurs proposent donc une nouvelle piste : celle d’un ancêtre commun ayant des mains relativement agiles, n’ayant besoin que d’un léger élargissement des pouces et d’un raccourcissement des doigts pour devenir capable d’utiliser et de fabriquer des outils. Il suggère également que des traits partagés entre Lucy, les hommes modernes et les grands singes, comme le port droit de la partie supérieure du corps ont évolué séparément dans les différentes lignées.
› ISABELLE TROCHERIS
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