JUSQU’À 7 ans, il s’est appelé Grisha, dans son Ukraine natale, alors Polonaise. Arrivé en France avec sa famille en 1932, il sera Georges, intégré à la société française par les instituteurs laïcs qui lui firent aimer sa langue et découvrir sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». « Nous ne gênions personne et respections les modes de vie, us et coutumes des Français et de la République… parce que c’étaient les valeurs de la République que mes parents avaient choisies. C’est, j’en suis persuadé, le but que se fixent la plupart des immigrants qui viennent en France pour y élever leurs enfants », déclarait-il en 1992 dans son livre de souvenirs « la Vie à fil tendu »*. Pendant la guerre, c’est sous le nom de Charpentier (moins juif) qu’il fit son année de math spé, à Montpellier. Engagé dans la résistance et communiste, il fut arrêté et déporté à Dachau en 1944. En 1945, il retrouve les siens tous vivants. « Pour moi la guerre était terminée, je devais oublier et c’est ce que j’ai fait. »
Il reprend ses études interrompues (il a été admis à l’Ecole des Mines en 1943), devient français et milite au parti communiste (qu’il quittera en 1957, dégoûté par les événements de Hongrie et la stalinisation). Après sa licence de physique, il entre au laboratoire de physique nucléaire du Collège de France dirigé par Frédéric Joliot-Curie. Et découvre que la physique est sa passion. En 1959, il est nommé maître de recherche au CNRS, puis rejoint le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), où il va œuvrer jusqu’en 1989 et qui vit une période particulièrement excitante pour les physiciens nucléaire.
Sa spécialité, les détecteurs. S’étant fait coiffer sur le poteau par les Japonais sur les chambres à étincelles, il imagine les chambres à fils, qui permettent de compter un millier de trajectoires par seconde. Remplies d’un gaz noble, l’argon, cette chambre contient des grilles sous tension composées de multiples fils disposés en parallèle. Les résultats sont immédiats. Et la chambre de Charpak équipe la plupart des expériences de physique des particules à travers le monde. Détrônant la chambre à bulles.
Quand le prix Nobel lui est décerné pour sa chambre en 1992, le public découvre un savant à l’œil bleu et à la mèche blanche en éventail qui ne se prend pas trop au sérieux. Mais il a déjà la tête ailleurs : l’application des détecteurs à la médecine. Il va y consacrer le reste de son existence et y travaillait encore à 84 ans. « Le Quotidien » s’est fait à plusieurs reprises l’écho du développement de son système d’exploration radiologique qui permet de diminue la dose d’irradiation médicale. Aujourd’hui le système d’imagerie très basse dose EOS est parti à la conquête des États-Unis et de l’Europe, permettant des examens répétitifs sans danger, notamment chez les enfants.
La science pour tous les enfants.
« Je ne suis en fait jamais resté indifférent au monde et à ses convulsions », confiait-il dans ses souvenirs. Sa notoriété de prix Nobel sera mise au service de ses convictions. Il milite pour le désarmement et traque tout ce qui lui apparaît comme de l’antiscience. Par exemple, la peur du nucléaire, « énergie incontournable », et les expériences sur les hautes dilutions (la mémoire de l’eau). Deux de ses derniers livres, « Devenez sorciers, devenez savants » (2004) et « Soyez savants, devenez prophètes » (2005) sont une critique de la pseudoscience suivie d’un plaidoyer pour la connaissance.
La connaissance, c’est la soif de sa vie, qui a débuté à 9 ans à la bibliothèque municipale et ne s’est jamais étanchée. En 1996, avec l’astrophysicien Pierre Léna et le physicien Yves Quéré, il créée l’association la Main à la pâte, un programme éducatif pour initier les enfants à la science dans les écoles maternelles et primaires, en privilégiant l’expérimentation. N’avait-il pas dédié « la Vie à fil tendu » « aux enfants qui rêvent d’un métier captivant, afin qu’ils sachent que la plupart des obstacles peuvent être surmontés » ?
Ses trois enfants, Yves, Nathalie et Serge, sont devenus médecins.
* Éditions Odile Jacob.
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