Par le Pr Olivier Sterkers*
L’ÉLARGISSEMENT des thématiques de recherche en ORL, et de fait des laboratoires d’accueil, est un témoin fort de la vitalité de notre spécialité dans le monde universitaire. A contrario, cela entraîne un isolement des chercheurs en ORL au sein d’unités dont les champs d’investigation sont notablement plus larges. Le renouvellement des chercheurs universitaires en ORL sera limité par l’absence de nouveaux candidats, les postes de professeur étant occupés en général pour un quart de siècle ! De plus, il est peu vraisemblable que des chercheurs statutaires soient recrutés sur des thèmes aussi étroits. Il faut donc espérer que des laboratoires de recherche, quelle que soit leur appartenance, aient des thèmes de recherche dédiés à notre discipline pour assurer un recrutement de scientifiques travaillant à temps plein dans les laboratoires et pouvant assurer la mise au point et l’application de nouvelles techniques de recherche à nos modèles ORL. Ainsi dans l’unité mixte INSERM-Université Paris-Diderot que je dirige, dont l’intitulé est « Chirurgie otologique mini-invasive robotisée », le travail et l’encadrement des ingénieurs, post-doctorants, thésards et étudiants en master se font sous la co-direction de chercheurs institutionnels et d’ORL universitaire ; cette organisation est le garant d’une progression efficace des projets qu’un médecin ORL seul ne pourrait assurer de par sa formation et ses occupations cliniques quotidiennes.
Le financement de la recherche en elle même est le fait des instances institutionnelles (universités, INSERM, CNRS…) complété en fonction des sujets étudiés, par des contrats extérieurs, soient publics (ANR), soit provenant de l’industrie. Le plus difficile reste toujours le financement du chercheur en formation quel que soit son parcours initial. Pour les jeunes inscrits en DES, le Master 2 doit être financé par l’année recherche à laquelle ils peuvent postuler en début de leur internat. Le financement de l’étudiant inscrit en thèse de Doctorat d’université est plus délicat. Il s’inscrit dans le cursus par une ou deux années de recherche à temps plein pouvant valider la mobilité. Les financements institutionnels sont rares (postes d’accueil INSERM, etc.). Les bourses décernées par des fondations ou des sociétés savantes sont aléatoires. La Société française d’ORL et de Pathologie cervico-faciale a fait un effort particulier pour aider quelques thésards, mais ces financements restent notablement insuffisants. En effet notre société savante devrait pouvoir soutenir, peut être pas en totalité, toute thèse de Doctorat entreprise par un jeune ORL. Nous en avons les moyens, manque la volonté !
Carrière hospitalo-universitaire et recherche.
Le parcours pour accéder à une titularisation hospitalo-universitaire dont le tracé a été précisé il y a plus de vingt ans, est bien intégré par la plupart d’entre nous. Pour se donner les meilleures chances de devenir Praticien Hospitalier-Professeur des universités, il faut consacrer une année à l’apprentissage de la recherche au cours d’un Master 2, si possible tôt dans l’internat pour bénéficier de l’année recherche. La thèse de Doctorat nécessite en théorie trois années, en pratique une à deux années de recherche à temps plein, au mieux entre internat et clinicat. Que le candidat ne craigne pas de « désapprendre la chirurgie » pendant ces temps loin de l’activité clinique : comme le vélo, une fois apprise, la chirurgie ne s’oublie pas ! Après cette première année consacrée uniquement à la recherche, le doctorant doit, dans son emploi du temps, réserver une journée par semaine, voire plus, à la recherche pour encadrer les plus jeunes et permettre la poursuite ses travaux. Souvent interprété comme un parcours solitaire ayant comme seul but la promotion de soi-même, il importe de prendre conscience qu’à travers les efforts consentis, l’accession au titre n’est pas une fin en soi, mais bien au contraire l’ouverture vers la poursuite des travaux de recherche et la constitution d’une équipe à laquelle les connaissances acquises pourront être transmises et à nouveau développées par d’autres.
La recherche clinique est une activité difficile et déroutante. Souhaitée par toutes les instances, elle nécessite un engagement fort et trop souvent ingrat. Les protocoles imposés par les méthodologistes (randomisation, double aveugle, contre placebo…) sont contraignants et incontournables. Leur mise en place dans le quotidien d’un service de chirurgie relève des « coulisses de l’exploit » surtout si on n’a pas rempli, pour raison d’économie, la ligne budgétaire correspondant à l’embauche d’un technicien de recherche clinique. En effet, il est impossible de déléguer une partie des tâches surajoutées liées à ces protocoles aux membres médicaux et soignants du service au risque d’être dénoncé par l’attaché de recherche clinique qui supervise ladite recherche. Si bien que le malheureux investigateur passe pour un dangereux maniaque dans son service et pour un crétin avéré auprès du département de recherche clinique. Encore fallait il avoir des patients à inclure dans ce protocole infaillible ! Faut il pour autant abandonner la recherche clinique ? Sûrement pas, mais il est nécessaire d’adapter les principes rigoureux et contraignants de cette activité à notre environnement. Comme il est impossible de le faire comprendre aux différents interlocuteurs qui nous opposent le traditionnel « cela fonctionne ailleurs, c’est impossible que vous ne puissiez en faire de même », il nous faut nous organiser autrement. C’est sans doute un des enjeux majeurs de la Société française d’ORL pour la prochaine décennie que d’apporter la logistique (méthodologistes, techniciens de recherche clinique, moyens de recueil des données…) nécessaire à la recherche clinique dans notre spécialité quelque soit son mode d’exercice.
Thèmes de demain.
Les thèmes de recherche en sciences médicales doivent coller à l’actualité et anticiper les besoins de demain. Cinq thèmes émergent sans être exclusifs : communiquer dans le milieu bruyant environnant, gérer les déplacements dans le champs de la pesanteur, respirer dans un environnement pollué, vivre mieux avec un cancer, opérer en limitant les risques et la pénibilité par l’utilisation de techniques mini-invasives robotisées. La réhabilitation auditive par les implants cochléaires est exemplaire de par l’évolution des recherches engendrées autour de cette découverte : dépistage néonatal de la surdité et des surdités génétiques, techniques chirurgicales mini-invasives pour préserver les restes auditifs, étude de l’intégration de la communication auditive par des techniques electrophysiologiques, psychoacoustiques et d’imagerie fonctionnelle, réparation et régénération des cellules auditives, mise au point de systèmes de traitement in situ des maladies de l’oreille interne, robotisation des procédés de délivrance in situ et d’implantation cochléaire.
Pour que la recherche en ORL poursuive ces voies prometteuses et en pleine expansion, il faut simplement faire comprendre aux Directions Hospitalières que les enseignants-chercheurs que nous sommes ne sont pas corvéables à merci pour la gestion envahissante du quotidien dominée par le dogme de la rentabilité.
* Professeur à l’université Paris-Diderot, chef du service d’ORL, Hôpital Beaujon, directeur de l’UMR-S 867 INSERM/Paris-Diderot , président de la section 55 et de la sous-section 55-01 ORL du CNU.
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