Les venins divers et variés sont depuis quelque temps dans le viseur des chercheurs qui y voient une source de nouvelles thérapeutiques. Selon trois études récentes consacrées au venin de scorpion, plusieurs de ses composés pourraient servir dans des domaines aussi divers que l'oncologie, la rhumatologie ou la prévention du syndrome d'alcoolisation fœtale.
Jusque-là, encore peu de médicaments issus des venins ont vu le jour. Mais on compte déjà l'antidiabétique exénatide, issu de la salive toxique du monstre de Gila (un lézard d'Amérique du Nord), ou le ziconotide, un antidouleur développé à partir du venin d'un escargot marin.
Selon un article publié dans Science Translational Medicine (1), des chercheurs envisagent de produire un CAR-T cells exprimant un récepteur mimant la chlorotoxine, un peptide issu du venin de scorpion connu pour se lier aux cellules de glioblastome. Si cette piste se confirmait, elle permettrait d'utiliser des CAR-T cells contre ces tumeurs solides qui, jusqu'à présent, faisaient de la résistance contre ces nouveaux types de traitement.
Si les CAR-T cells développées jusqu'ici n'étaient pas sans effet sur la prolifération tumorale des glioblastomes, l'extrême hétérogénéité de ces derniers constituait une importante barrière, et un moyen d’échappement au traitement. Selon les travaux de l'équipe de The Beckman Research Institute at City of Hope, en Californie, la chlorotoxine a la particularité de dépasser cette limitation en se fixant sur une plus grande variété de cellules tumorales.
Un premier essai chez la souris a démontré que ces nouvelles CAR-T présentaient un bon profil de sécurité (absence d'effet off target sur des cellules saines), et provoquait une réduction des tumeurs résultant d'allogreffes, sans que des signes d'échappement ne se soient manifestés.
Contrer la toxicité des corticoïdes
Dans le même numéro de Science Translational Medicine (2), l'équipe du centre de recherche en cancérologie Fred Hutchinson, à Seattle, expose une autre utilisation d'un composé du venin de scorpion, cette fois-ci dans le cadre de la prise en charge de la toxicité des traitements de la polyarthrite rhumatoïde.
Les corticostéroïdes sont efficaces mais présentent à long terme une toxicité s'ils sont administrés de façon systémique. L'idée de l'équipe de la Dr Michelle Cook Sangar est donc de ne concentrer le traitement que là où il est efficace : au niveau des articulations. Ils ont pour cela couplé de l'acétonide de triamcinolone (un corticostéroïde de synthèse) à un peptide riche en cystine dérivé du venin de scorpion, capable de se fixer sur les cellules du cartilage humain.
Dans un modèle de souris humanisées, cette combinaison a réduit l'inflammation, sans occasionner de dommage au thymus et au foie, deux organes traditionnellement affectés par la toxicité systémique des corticostéroïdes. Les données d'imagerie confirment en outre que la combinaison acétonide de triamcinolone/peptides reste localisée dans les articulations du modèle murin. L'équipe de la Dr Michelle Cook n'en est toutefois qu'au début de son travail. Des études longitudinales sur modèles animaux plus volumineux seront nécessaires pour démontrer l'intérêt du traitement sur de plus longues périodes.
Alcoolisation fœtale
Le Pr Kazue Hashimoto-Torii, et ses collègues de la faculté de l'hôpital national pour enfants de Washington DC, a publié des résultats concernant l'utilisation de la tampanine, dérivé du scorpion rouge indien, dans le cadre de la lutte contre les conséquences fonctionnelles du syndrome d'alcoolisation fœtale, dans la revue Nature Neuroscience.
Ces chercheurs ont travaillé sur un modèle préclinique de souris gestantes exposées à une consommation d'alcool entre le seizième et le dix-septième jour de gestation (l'équivalent du deuxième trimestre chez la femme). Il s'agit d'une période critique pour la croissance des cellules cérébrales du cortex supérieur, une région qui joue un rôle majeur dans l'acquisition des fonctions motrices.
Les souriceaux nés après une telle exposition fœtale souffraient de déficit à la fois en ce qui concerne la motricité fine et la motricité globale, 30 jours après leur naissance. Ces déficits sont associés à une production erratique de protéines de choc thermique.
L'expression d'un gène était particulièrement mise en cause : Kcnn2, qui code pour un type particulier de canal calcique, suractivé dans les cellules qui produisent des protéines de choc thermique. Les chercheurs ont donc tenté d'administrer un inhibiteur de ces canaux calciques : la tampamine dérivé du scorpion rouge indien (Hottentotta tamulus). La production de protéines de choc thermique et les capacités motrices des souris sont revenues à la normale au bout de 30 jours de traitement.
Afin de poursuivre ce travail, le Pr Hashimoto-Torii et son équipe ont monté une entreprise de biotechnologie. L'enjeu est de taille : on estime que 119 000 enfants naissent chaque année avec un syndrome d'alcoolisation fœtale.
(1) D Wang et al, Science Translational Medicine, Volume12, Chapitre 533, 2020
(2) M.L Cook Sandar et al, Science Translational Medicine, volume 12, chapitre 533, 2020
(3) S Mohammad et al, Nature Neuroscience, DOI: https://doi.org/10.1038/s41593-020-0592-z
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