Recherche clinique

Les Académiciens crient au danger

Publié le 09/12/2010
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LES ACADÉMICIENS ne sont pas trop nombreux pour réfléchir à l’avenir de la recherche clinique française, indique le Pr René Mornex (Hospices civils de Lyon) à l’occasion d’une séance commune des Académies des sciences et de médecine. Le sujet passionne tout autant qu’il préoccupe : « Il y a danger et je ne pensais que cela pourrait arriver », s’émeut le Pr Pierre Corvol (Collège de France) en regrettant que l’administration hospitalière n’ait pas le souci de la recherche. « Il n’y aura pas de progrès thérapeutiques sans recherche forte. Le risque, c’est que l’on ne fasse que suivre celle des autres. On ne nous fait pas confiance », poursuit-il. D’ailleurs, « l’évaluation actuelle n’est pas adaptée à la recherche clinique » et n’incite pas les médecins hospitalo-universitaires, déjà à court de temps, à s’engager dans cette voie. « En France, la recherche clinique n’est pas une ardente obligation comme elle devrait l’être », résume le Pr Maurice Tubiana.

Certes, le sujet n’est pas nouveau, reconnaît Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Mais il devient de plus en plus complexe. Les contraintes budgétaires s’ajoutent aux tâches administratives et aux règles dissuasives qui encadrent la recherche clinique, dénonce le Pr Tubiana : « En France, 2 % des malades des centres hospitalo-universitaires (CHU) sont introduits dans des essais, contre 10 % en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. » La proposition de loi du député Olivier Jardé de 2009, censée simplifier l’encadrement des recherches sur les personnes et faciliter la publication des résultats des recherches non-interventionnelles dans des revues scientifiques, attend toujours d’être examinée en seconde lecture au Sénat, reportée sine die. Pour Claire Lévy-Marchal (CIC Robert-Debré, Paris), l’autre symptôme d’un désintérêt pour la recherche clinique est le nombre de Centre d’investigation clinique (CIC) : 24 pour 29 CHU. Ces infrastructures de recherche clinique sont pourtant nécessaires pour que les investigateurs réalisent leurs projets visant à comprendre une maladie mais aussi à tester de nouveaux médicaments.

Les Académiciens en arrivent-ils au sombre constat dressé par le Pr Philippe Even dans son dernier livre sur la recherche biomédicale française* ? « Il y a des choses inexactes et des erreurs de chiffres », répond Jean-François Bach, en rendant toutefois hommage à l’action du médecin qui préside l’Institut Necker. S’il salue le travail des chercheurs, « vraiment très bons, et en plus désintéressés, passionnés », le Pr Even met en cause le système, « un réseau qui les contraint de tous côtés ». De son côté, Claire Lévy-Marchal, qui a recensé les publications des CIC entre 2005 et 2010, estime la production des chercheurs « nombreuse » avec plus de 3 000 publications dont 36 publiées dans le « New England Journal of Medicine ».

L’exemple néerlandais.

Réconcilier recherche, enseignement et soins est possible, du moins aux Pays-Bas, comme le constate le Pr Alain Fischer, qui envie le système « astucieux » du Centre médical de l’université d’Utrecht. Né en 1999, il fusionne, dans un même environnement, les missions du soin, de la recherche et de l’enseignement, « avec des résultats en hausse sur tous les indicateurs ». L’instauration des Instituts hospitalo-universitaires (IHU) pourrait peut-être remédier au mal français de la juxtaposition des directions. Les Académiciens veulent y croire, même s’ils regrettent le peu de centres concernés : cinq bénéficieront d’une dotation dans le cadre du grand emprunt. Cette volonté d’intégrer les trois thématiques au sein de départements « est dans l’air depuis quelques années », rappelle Jean-François Bach. Mais la création des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) et des Centres thématiques de recherche et de soin (CTRS), structures créées par la loi de programme pour la recherche de 2006, n’ont fait que s’ajouter « au mille-feuilles ».

* « La Recherche biomédicale en danger », Le Cherche Midi, 23,50 euros.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8873