« CE QUE NOUS CONNAISSONS de la médecine chinoise relève de la face émergée de l’iceberg », considère Romano Prodi, ancien président de la commission européenne et président de la Fondation pour la collaboration entre les peuples. Pour améliorer les échanges sino-européens, cette fondation et le « Bonn project* »ont organisé à Bologne (Italie) les premières rencontres sur la santé humaine entre médecine traditionnelle chinoise et médecine occidentale. Deux jours durant dans un palais du centre de la ville, des experts européens et chinois ont débattu sur les perspectives de la médecine traditionnelle chinoise et ses conditions de développement dans le monde (qualité, sécurité, innovation, coopérations). Depuis les années 1970, l’attrait pour les médecines alternatives a bénéficié à certaines pratiques thérapeutiques traditionnelles chinoises (acupuncture, moxibustion, massages, Tai-chi, Chi Gong, remèdes « naturels », etc.). La communauté scientifique et médicale occidentale porte d’ailleurs une attention croissante à ces pratiques. En France, près d’un praticien sur dix utilise des techniques issues de la médecine traditionnelle chinoise. A ce jour, 70 pays ont signé des accords intergouvernementaux dans le champ de ces thérapies traditionnelles. S’agissant des remèdes naturels, beaucoup reste à faire pour élever les produits chinois aux standards européens. « Le problème, c’est qu’on ne connaît pas bien tous les produits annexes au sein des remèdes chinois et la toxicité qu’il peut y avoir », souligne le Pr Laurent Degos, vice-président de l’Institut Curie et président de la fondation franco-chinoise pour les sciences et leurs applications. En Europe, une directive (2004/24/EC) encadrant les produits à base d’herbes médicinales ne requiert pas d’études cliniques pour l’autorisation de commercialisation mais impose au moins 30 années d’usage traditionnel dont 15 ans sur le vieux Continent. « La plupart du temps, cela reste difficile de produire de telles preuves », constate Guo De-An, responsable scientifique du Shanghai institute of materia medica.
Un plan de 1,5 milliard.
En Chine, le gouvernement a lancé depuis 2006 un plan pour soutenir l’innovation autour de la médecine traditionnelle chinoise, avec 1,5 milliard de dollars par an issus de fonds publics et privés. Il s’agit d’une industrie dynamique regroupant plus de 1 500 entreprises pharmaceutiques locales et 11 000 sociétés commerciales. Actuellement, plus de 9 000 spécialités sont disponibles sur le marché chinois. « Nos principaux défis vont être d’améliorer l’évaluation de la sûreté et de l’efficacité des produits en développant de nouvelles méthodes », explique Guo De-An. Du fait des stratégies de traitement beaucoup plus individualisées qu’en médecine moderne, la médecine traditionnelle chinoise répond mal aux critères d’évaluation clinique de type essais randomisés en double aveugle. « En médecine traditionnelle chinoise, nous ne comprenons pas totalement les mécanismes d’action thérapeutique à l’œuvre », indique Liu-Jian-ping, directeur du centre de recherche pour l’évaluation de la médecine chinoise à l’Université de Pékin. « D’autres voies doivent donc être considérées comme les études observationnelles ou les études de cas », estime-t-il. « Dans le champ de la médecine fondée sur la preuve, nous avons aussi besoin d’incorporer les préférences et valeurs du patient dans le choix du traitement », ajoute Liu-Jian-Ping.
Première aux Pays-Bas.
En avril dernier aux Pays-Bas, le Conseil d’évaluation des médicaments (MEB) a autorisé la commercialisation des gélules Diao Xin Xue Kang du groupe chinois Diao Pharmaceutical en tant que produit de médecine traditionnelle à base de plantes pour le traitement de problèmes cardiovasculaires. Depuis l’entrée en vigueur de la directive européenne de 2004, 627 produits à base de plantes ont été autorisés. Si le Diao Xin Xue Kang n’est évidemment pas le seul produit de médecine traditionnelle à base de plantes chinoise à pénétrer le marché européen, il restera le premier produit non-européen à avoir obtenu une licence de vente avec cette dénomination. Le calibrage des remèdes chinois aux canons européens est donc en marche. Mais les autorités chinoises voient encore plus loin. À une centaine de kilomètres au Nord de Shanghai, un pôle ultramoderne dédié à la modernisation de la médecine traditionnelle chinoise verra prochainement le jour dans les environs de Changshu. Baptisé « International TCM Trade and service center », ce pôle doit regrouper près de 3 000 entreprises et créer plus de 10 000 emplois. Avec 12 807 remèdes repertoriés - herbes médicinales pour l’essentiel - la médecine traditionnelle chinoise reste un très important vivier à explorer pour développer de nouveaux médicaments. Au cours des 50 dernières années, 600 remèdes traditionnels ont été phytochimiquement étudiés, permettant d’isoler un total de 18 000 ingrédients naturels dont 5 000 nouveaux composés, indique le directeur scientifique du Shanghai Institute. La recherche dans ce domaine a notamment permis la mise au point de l’artémisinine, traitement clé des formes graves de paludisme. Un dérivé de l’Huperzine A (ZT-1) est également en phase II de développement clinique en Europe et en Chine dans le traitement des troubles de la mémoire. De grands groupes pharmaceutiques mondiaux investissent régulièrement en Chine dans des projets de coopération industriels. « Mais les grands laboratoires restent encore très prudents dans notre pays », remarque Guo De-An. En Italie à l’issue du sommet, Romano Prodi et Xu Jialu, ancien président du Comité permanent du Congrès national du peuple de la République populaire de Chine ont paraphé le 11 mai, la déclaration de Bologne qui jette les bases de nouveaux échanges entre l’Europe et la Chine pour contribuer à intégrer davantage la culture médicale traditionnelle chinoise au sein de la médecine moderne.
* Organisation chargée notamment de promouvoir dans le monde la médecine chinoise traditionnelle dans le monde.
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