« LA FRANCE (...) ne pourra mener des politiques de prévention efficaces qu’en se dotant enfin d’un instrument de connaissance et d’aide à la décision des pouvoirs publics, un observatoire des suicides et des conduites suicidaires », déclare un collectif de 44 professionnels de santé, syndicalistes et intellectuels dans un appel publié le 23 mai dans« Libération ». Doté de « moyens propres », cet observatoire « pluridisciplinaire », « reconnu » et « indépendant » doit « promouvoir une meilleure prévention ». Car seules « la connaissance des phénomènes suicidaires et la conduite d’investigations ciblées (...) permettront de sauver des vies », écrivent les signataires.
En l’état actuel des connaissances, très parcellaires, sur le suicide en France, 11 000 morts et 130 000 tentatives sont actuellement dénombrées chaque année dans l’Hexagone. Le taux de suicides figure parmi les plus élevés de l’Union européenne après ceux des pays de l’Est, de la Belgique et de la Finlande. L’appel des « 44 » fait suite à une précédente tribune parue en avril dernier dans les colonnes du « Monde », dans laquelle un collectif plus restreint réclamait l’émergence d’un tel observatoire.
L’idée n’est pas nouvelle, comme le rappelle le Pr Michel Debout, professeur de médecine légale et ancien président de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS), à l’initiative de l’appel des « 44 ». « C’est une vieille histoire. En 1993, dans une étude remise au Conseil économique et social, j’évoquais déjà la nécessité de créer un observatoire du suicide. Ensuite, à partir des premières journées nationales de prévention en 1997, chaque année, j’ai rappelé l’importance de créer cet observatoire dans notre pays. » En 2009, le rapport du comité de pilotage pour l’élaboration du deuxième plan de lutte contre le suicide, remis à Roselyne Bachelot, a notamment recommandé la création de cet observatoire. Le 5 février dernier, Nora Berra a rappelé les grands axes du programme national attendu depuis plusieurs années pour succéder au premier plan 2000-2005. Parmi les six priorités du nouveau plan figure le développement des études et de la recherche sur le suicide. « Il est en effet important de disposer de données régulières et de qualité de la mortalité par suicide ainsi que sur les tentatives de suicide », a déclaré la secrétaire d’État à la Santé.
Prévue pour le mois de mai, l’annonce du plan a une nouvelle fois été reportée. Selon nos informations, la création d’un observatoire du suicide ne sera toutefois pas prévue dans le plan gouvernemental. L’émergence d’une telle structure apparaît pourtant essentielle insiste le Dr Bernard Salengro, médecin du travail, membre du syndicat CFECGC et signataire de l’appel. « La France a été le premier pays à étudier les suicides avec Durkheim en 1867. Alors qu’elle avait de l’avance, elle est aujourd’hui très en retard sur le suicide. » Il manque aujourd’hui des études scientifiques pour connaître véritablement l’ampleur du phénomène, poursuit le Pr Jacques Vedrinne, psychiatre, professeur en médecine légale et fondateur du Groupement d’étude et de prévention du suicide (GPES) qui a également signé l’appel. « Dans le domaine des suicides, il n’y a pas véritablement de vue d’ensemble disposant d’outils à la fois épidémiologiques, statistiques, psychiatriques, sociologiques qui permette d’avoir une possibilité d’analyse de ces phénomènes », considère-t-il.
Pour le Dr Brigitte Font Le Bret, psychiatre, spécialiste de la souffrance au travail et autre signataire de l’appel, la création d’un observatoire doit aussi contribuer à lever un certain tabou autour du suicide. « En France, on est capable d’avoir un fichier des accidents de la route parfaitement tenu, mais toujours rien de tel pour le suicide. Il faut un observatoire qui puisse produire des chiffres exacts du nombre de suicide et des tentatives de suicide dans notre pays. »
À contre-courant de cet appel des « 44 », Thérèse Hannier, actuelle présidente de l’UNPS, estime qu’en perspective du prochain plan suicide, un tel observatoire « ne constitue pas un outil essentiel pour mener à bien une politique de prévention sur le plan national. À cette nouvelle institution les professionnels et associations regroupés au sein de l’UNPS préféreraient la poursuite et le développement d’une véritable politique nationale de prévention du suicide. »
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