Dominique Costagliola : « Il est prématuré de comparer les données du Covid-19 des différents pays pour évaluer la qualité de leur gestion de crise »

Par
Publié le 05/06/2020
Article réservé aux abonnés

S'il est légitime de vouloir analyser pays par pays la gestion de la pandémie de Covid-19, il est encore trop tôt pour comparer les différentes approches, estime Dominique Costagliola, membre de l'Académie des sciences. L'épidémiologiste de renom explique  au « Quotidien » combien il est difficile mais nécessaire d'avoir des indicateurs fiables et communs.

Utiliser un même indicateur pour comparer la mortalité attendue et celle observée suite à la pandémie

Utiliser un même indicateur pour comparer la mortalité attendue et celle observée suite à la pandémie
Crédit photo : Phanie

LE QUOTIDIEN : Selon  vous, il n’est pas pertinent de comparer les taux de mortalité entre pays pour juger de l’efficacité des politiques publiques. Pourquoi ?

Parce qu’il est toujours important de réfléchir aux données brutes dont on dispose. Et notamment de bien définir ce dont on parle : du nombre de décès en chiffre absolu ou du nombre de décès par million d’habitants ? Qui plus est, les pays ne déclarent pas tous la même chose : en Belgique, le choix a été fait de prendre en compte dès le départ les décès liés au Covid dans les hôpitaux ainsi que ceux enregistrés en ville ou en Ehpad, qu’il s’agisse de cas confirmés ou suspects. En France, on n’a intégré les décès dans les Ehpad qu’à la mi-mars et au Royaume-Uni fin avril, ce qui a fortement changé les statistiques. Aux États-Unis, chaque État choisi ce qu’il déclare ; il est donc probable que les décès y soient sous-estimés. Si les pays n’ont pas les mêmes indicateurs ou ne les évaluent pas de la même façon, la comparaison est biaisée.

Dans ce cas, comment obtenir des données solides sur la mortalité liée au SARS-CoV-2 ?

Il faut s’intéresser aux décès toutes causes pour une période donnée et comparer ces décès à une période identique les années précédentes. Cela implique de prendre en compte les facteurs qui auraient pu avoir une influence particulière sur les taux de mortalité des années antérieures, comme les effets de la grippe saisonnière par exemple, mais également les effets directs et indirects de la pandémie sur la mortalité, comme une éventuelle hausse du nombre de morts par infarctus du myocarde car les patients auront été moins bien pris en charge pendant la crise ou une baisse du nombre de morts par accident de la circulation pendant le confinement.

De cette façon, et en s’appuyant sur les statistiques, on peut construire un indicateur global assez robuste de l’impact du coronavirus sur la mortalité à court terme. C’est d’ailleurs ce qui est en train d’être fait au niveau européen au sein du consortium EuroMOMO : plusieurs pays ou régions d’Europe utilisent un indicateur semblable pour comparer la mortalité attendue et celle observée suite à la pandémie, ce qui permet d’avoir des données comparables entre ces pays.

Quelles sont les données à prendre en compte lorsque l’on veut comparer la situation entre pays, que ce soit en nombre de cas ou en nombre de décès ?

Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte et cela prendra du temps. Parmi ceux-ci, on trouve la taille de la population, la distribution d’âge, de sexe, de niveau socio-économique, la densité des populations. L’exhaustivité des cas et décès recensés, la politique de dépistage et de diagnostic de la maladie et leurs évolutions respectives au cours du temps sont également à prendre en compte, de même que la circulation du virus, l’existence ou non de foyers d’infection, la prévalence au sein des populations des facteurs de risque de faire une forme sévère de la maladie (obésité, diabète, hypertension artérielle, problèmes respiratoires, maladies cardiovasculaires, etc.) et l’organisation du système de santé, par exemple.

Si l’on ne prend pas en compte ces facteurs on peut, par exemple, considérer que la crise a été mieux gérée dans l’ouest et le sud de la France que dans le Grand Est et en région parisienne alors qu’en réalité les mesures appliquées ont été les mêmes sur tout le territoire, au même moment. Mais l’est a connu un gros foyer qui a été un fort démultiplicateur de l’épidémie, la réunion évangélique à Mulhouse ; en région parisienne ce sont la densité de population et l’importance des transports publics qui ont été des éléments majeurs de diffusion de l’épidémie.

Est-il vrai que si l‘Allemagne enregistre moins de décès par million d’habitants, c’est grâce à une utilisation massive des tests de dépistage ?

Non, ce n’est pas une raison à elle seule puisque l’Italie, qui enregistre plus de décès par million d’habitants que l’Allemagne, a fait plus de tests que son proche voisin [37 158 tests/million d’habitants versus 30 400 tests/million d’habitants au 5 mai 2020]. Ce qui compte lorsque l’on fait des tests c’est le moment auquel on les fait : est-ce que le pays a été tout de suite opérationnel sur ce point ? Et, surtout, ce que l’on met en place une fois les tests réalisés : est-ce que l’on isole les cas suspects, les cas probables ? Est-ce que l’on recherche les cas contacts, etc. ? En Allemagne, il y a eu davantage de tests effectués plus tôt pendant l’épidémie et moins de grands foyers de diffusion comparativement à l’Italie. Mais il faudra attendre de disposer de données plus complètes pour juger.

Propos recueillis par Stéphany Mocquery

Source : Le Quotidien du médecin