LES YEUX BAISSÉS et les bras enroulés sur sa poitrine comme un bouclier : la posture de cette femme présentée sur la couverture du livre symbolise une pathologie incomprise et inimaginable, le déni de grossesse. « Nous avons fait le choix de montrer une femme qui est dans une situation de tristesse et de repli sur soi. Chez ces femmes, il y a une vraie difficulté à communiquer sur leur sexualité, une difficulté à être en tant que femme et en tant que mère, bien sûr », explique Israël Nisand, gynécologue-obstétricien au CHU de Strasbourg. Avec Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, qui dirige le service de la Prévention et de la promotion de la santé psychique à Nantes, et de son lieu d’accueil parents-enfants (« les Pâtes au beurre »), il entend rendre « plus clair cette pathologie très mystérieuse ». « Nous avons voulu en expliquer les causes et la clinique », confie-t-il au « Quotidien ».
« Ces femmes sont lynchées médiatiquement alors qu’en fait, elles sont malades. Il m’est déjà arrivé que certaines dames traversent toute une salle de restaurant à Strasbourg pour venir m’enguirlander parce que je défends des femmes meurtrières », s’exclame-t-il. Il ne s’agit pas de brosser un portait-type « car, au même titre que la fièvre, qui est un symptôme, il peut y avoir 150 causes à son origine. Toute généralité sur le déni de grossesse est fausse, y compris l’idée selon laquelle il s’agirait de femmes qui ne veulent pas d’enfant. Le dernier déni de grossesse que nous avons eu à traiter, à Strasbourg, c’était une femme qui était entre deux cycles de fécondation in vitro. Ce n’est pas parce que vous êtes en procréation médicalement assistée que vous n’avez pas une pathologie psychique qui vous conduit au déni. La seule chose certaine que l’on peut dire, c’est que ce sont des femmes qui sont en grande souffrance personnelle. Le déni est un mécanisme psychique pour se défendre contre cette souffrance », poursuit le spécialiste, qui est notamment intervenu au procès de Véronique Courjault en tant qu’expert sur les questions de maternité.
Mais les femmes ne sont pas seules dans le déni de grossesse, rappellent les auteurs en s’appuyant « sur la dynamique conjugale des couples ». Selon eux, au-delà de la souffrance de la femme, « c’est le couple qui est néonaticide », même si l’homme paraît non coupable au regard de la justice. Le Pr Nisand se dit ainsi « gravement choqué » par l’attitude de Jean-Louis Courjault qui, loin de se montrer discret, « ne serait-ce que pour protéger les enfants existants », se met en scène dans les médias et publie un livre le jour de la sortie de prison de sa femme. « Il s’est présenté devant les caméras en prétendant aimer sa femme alors que celle-ci était transparente pour lui. Il s’est donné le beau rôle. Si elle avait rencontré un autre homme, Mme Courjault aurait peut-être pu se sortir de sa pathologie qui venait de l’enfance », imagine le gynécologue.
Car les moyens d’aider les femmes existent et il y a même une « prévention possible », soutiennent les auteurs avec précaution. Parallèlement, ils redoutent en effet « le basculement de la prévention à la prédiction et les dérives qui ne manqueront pas alors de surgir, en particulier en termes de repères signalant le déni ». Ainsi la déclaration tardive d’une grossesse est le signe le plus fréquemment retrouvé dans les antécédants des femmes qui ont eu un déni de grossesse. De même, les femmes qui demandent une interruption volontaire de grossesse tardive « n’ont pas pris conscience de leur état ». « Se contenter de pratiquer une interruption, sans s’intéresser à ce que traverse cette femme, est une faute en soi, un manquement, dont le risque principal est la mise en danger de la femme par des demandes répétées et l’inscription durable d’un malaise dans sa vie de femme féconde », estiment les deux spécialistes.
« Pour les médecins qui connaissent un peu la grossesse nerveuse, c’est l’inverse de la même médaille. Pour le déni, il y a une grossesse physique et pas de grossesse psychique. Cela permet de comprendre pourquoi la grossesse nerveuse a disparu - parce que l’on fait des échographies à toutes les femmes qui se disent enceintes - et pourquoi, en revanche, le déni de grossesse ne disparaîtra pas : parce que ne pas avoir d’enfant dans la tête indique que l’on n’est pas enceinte. Pour moi, la conclusion est qu’il ne suffit pas d’être enceinte pour attendre un enfant », en déduit le Pr Nisand.
« Elles accouchent et ne sont pas enceintes », Sophie Marinopoulos et Israël Nisand, É ditions Les Liens qui Libèrent, 2011, 18 euros.
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