La fréquence des signalements de maladies à caractère professionnel (MCP) a été multipliée par 2 en France entre 2007 et 2018, selon les données du programme de surveillance spécifique de Santé publique France (SPF).
La plus forte augmentation a été observée entre 2016 et 2018, avec une multiplication par 1,4 chez les hommes et 1,5 chez les femmes. Les femmes étaient plus concernées que les hommes par les troubles musculosquelettiques (2,8 à 4,4 % selon l’année) ainsi que par les problèmes de souffrance psychique (3,5 à 6,2 % selon l’année).
Les auteurs constatent un gradient inversé entre les ouvriers plus concernés par les troubles musculosquelettiques (TMS), et les cadres, plus souvent touchés par la souffrance psychique. « On est sur un ensemble de troubles vaste et varié - psychologiques, respiratoires, dermatologiques, reproductifs, cancers - eux-mêmes en lien avec des modes d'exposition très variés, biomécaniques, facteurs organisationnels, expositions aux agents chimiques… », liste Mélina Le Barbier, directrice adjointe Santé Environnement Travail de Santé publique France.
Les TMS sont associés dans 80 % des cas à des facteurs biomécaniques, alors que 45 % des cas de souffrance psychiques sont liés au « management ». Viennent ensuite la « relation au travail » et les « exigences inhérentes à l’activité ». Les facteurs organisationnels, relationnels et éthiques sont en lien avec des TMS ou de la souffrance psychique dans 9 cas sur 10.
Derrière le terme « management » se cachent les problématiques de réorganisations imposées, la faible latitude de décision des salariés et le déficit de reconnaissance perçue par les salariés sur leur travail, etc.
Réforme de la santé au travail en 2016
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l'augmentation des MCP. « Cela peut être le reflet d'une hausse de la prévalence des MCP, mais des éléments viennent tempérer ce propos, explique Juliette Chatelot, épidémiologiste à l'unité Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations de SPF. En 2016, une réforme de la santé au travail a réorganisé la manière dont s'opèrent les visites, avec de moins en moins de visites périodiques et de plus en plus de visites à la demande et de reprise qui augmentent mécaniquement le nombre de signalements. »
Ces chiffres sont-ils un indicateur d'une dégradation de la santé au travail ? « Ce programme permet de constater une tendance à l'augmentation de la prévalence de la souffrance psychique, affirme Guillaume Boulanger, responsable de l'unité Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations. Les études faites ces vingt dernières années incriminent clairement l'organisation et le rythme du travail dans cette tendance. »
Une importante sous-déclaration en maladie professionnelle
Les MCP sont l'ensemble des maladies directement liées à un risque professionnel mais qui ne font pas partie des maladies professionnelles indemnisées reconnues par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) et indemnisées en conséquence. Pourtant, environ 71 % des TMS correspondant à un tableau de maladies professionnelles mais n'ont pas fait l’objet d’une déclaration en maladie professionnelle. Dans 35 % des cas, une méconnaissance du processus de demande de réparation par le salarié est en cause. Les conséquences pour l'emploi sont évoquées dans 22 % des cas.
Il existe des tableaux de reconnaissance des troubles musculosquelettiques, mais pas pour les troubles psychiques. « Il y a un volume important de souffrances psychiques qui est peu reconnu et pas indemnisé, poursuit Guillaume Boulanger. Il y a bien un système dérogatoire, mais qui indemnise peu la souffrance psychique en lien avec le travail. »
Tous les ans, la branche AT/MP (accidents du travail et maladies professionnelles) verse un à deux milliards d'euros au régime général pour tenir compte du fait qu'une partie importante des MCP sont soignées en dehors de tout dispositif spécifique. Ce chiffre, régulièrement révisé par une commission présidée par un commissaire aux comptes, fournit une assez bonne indication de la sous-déclaration des maladies professionnelles en France.
Les données du rapport soulignent les difficultés actuelles de la médecine du travail. Cette dernière « a été la cible de plusieurs réformes qui ont élargi les missions des médecins du travail, alors même que leur démographie diminue », rappelle Mélina Le Barbier.
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