PAR LE Pr PHILIPPE BORDURE, ET LE Dr CÉLINE QU’HEN*
LE TÉLÉPHONE portable a vu son nombre d'utilisateurs exploser avec plus de 3 milliards d'utilisateurs sur une population mondiale de 6,7 milliards d'habitants. Le taux de pénétration de la radiotéléphonie mobile est de plus de 60 %. Les statistiques françaises fournies par l’AFOM (association française des opérateurs mobiles) portent à 58 millions le nombre de cartes SIM en circulation en 2008. 85 % des foyers français disposent désormais d'un accès de téléphonie cellulaire. Cette flambée de l'utilisation du téléphone portable et le fait que ces appareils émettent des rayonnements électromagnétiques ont logiquement conduit à se demander s’il pouvait en résulter un préjudice pour la santé. L'intensité des rayonnements électromagnétiques émis par le téléphone cellulaire décroît très vite avec l'éloignement. L’oreille étant en contact avec le téléphone portable est donc particulièrement exposée.
Une augmentation des schwannomes.
Un fait troublant est l'augmentation de l'incidence des neurinomes de l'acoustique (en fait le plus souvent un schwannome vestibulaire) ces dernières années parallèlement à l'augmentation de l'utilisation des téléphones cellulaires. Ce taux d'incidence est passé de sept à 12 cas par million d'habitants et par an entre 1976 et 1995. La prévalence retrouvée sur des travaux autopsiques objective des taux encore plus importants compris entre 0,9 et 2,7 %. Il est donc licite de se poser la question du rôle des téléphones cellulaires dans la survenue des schwannomes du VIII. Et cela, d'autant plus que dans la majorité des cas, aucun autre facteur étiologique ne peut être mis en évidence, si ce n'est les rares cas de neurofibromatose de type II d’origine génétique. Plusieurs études dont la majorité était des études épidémiologiques cas-témoins, ont tenté de préciser le risque de développement d'un schwannome vestibulaire lié aux expositions électromagnétiques par téléphone portable. Les résultats sont contradictoires. La vaste enquête épidémiologique Interphone qui a été lancée en 2000 n'a pas encore révélé tous ses résultats. Cette étude portant sur plus de 12 000 individus a été menée en parallèle dans 13 pays différents. Son objectif était d'établir dans quelle mesure l'utilisation d'un téléphone portable pouvait être liée à l'apparition d'une tumeur du cerveau ou de l'oreille. Bien que l'enquête soit terminée depuis trois ans, la publication des résultats globaux a été de nombreuses fois repoussée à cause des difficultés d'analyse des résultats liées à la prise en compte de nombreux biais. Plusieurs études issues de cette enquête mettent en évidence une augmentation du risque pour des durées d’utilisation du téléphone cellulaire analogique supérieures à 10 ans.
Côté d’utilisation et côté de la tumeur.
Une étude épidémiologique récente menée au CHU de Nantes a laissé apparaître des résultats tout aussi significatifs. Il s'agit d'une étude analytique prospective transversale menée entre novembre 2008 et mai 2009. Cinquante patients consécutifs vus en consultation et qui présentaient un schwannome vestibulaire unilatérale sporadique ont été inclus. Parmi les 50 patients, 56 % de femmes et 44 % d'hommes. La moyenne d'âge était de 55,4 ans. Le schwannome vestibulaire était localisé à droite dans 40 % des cas et à gauche dans 60 % des cas. 20 % des patients ne possédaient pas de téléphone portable, 80 % en possédait un depuis au moins un an avec une durée d'exposition moyenne de 7,9 ans. La particularité de cette étude a été de préciser le côté d'utilisation du téléphone cellulaire dans les années qui précédaient la découverte de la tumeur. La détermination du côté d'utilisation a été particulièrement délicate. D'une part, la réponse n'était pas toujours évidente, et parfois différente entre téléphone cellulaire et téléphone fixe. D'autre part, une personne malade a besoin de trouver une explication à sa maladie, et on pouvait penser que les patients avaient tendance à incriminer a priori le téléphone portable. Des précautions ont été prises pour éviter un tel biais. Vingt et un patients, c'est-à-dire 52 %, ont noté un changement de côté d'utilisation du téléphone lié à la survenue d'une surdité. Bien que presque tous les patients soient droitiers (48 soit 98 %), nombreux étaient ceux qui utilisaient le téléphone du côté gauche avant la survenue des premiers symptômes. Ainsi, sur 40 sujets utilisant un téléphone cellulaire, 29 sujets (72,5 %) utilisaient le téléphone du même côté que celui de la tumeur avant l'apparition des premiers symptômes. Il existait une relation significative entre le côté d'utilisation et le côté de la tumeur (test de Fischer, p=0.007).
Ces résultats confirment le rôle très probable du téléphone cellulaire dans la survenue ou le développement du schwannome vestibulaire sporadique. Ils incitent à la prudence en attendant les conclusions prochaines d’études épidémiologiques menées sur de plus grands échantillons de population, dont l’étude Interphone. Même si les puissances d’émission des téléphones portables ont été limitées ces dernières années, les plus jeunes absorberont théoriquement des doses bien supérieures à celles absorbées par les adultes aujourd'hui. Des mesures préventives doivent être proposées dès lors dans cette population.
* Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU de NANTES
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