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Dossier

Un entretien avec le Dr Thierry Lardenois

Réforme des retraites : la CARMF se rebiffe

Par Cyrille Dupuis - Publié le 07/06/2018
Réforme des retraites : la CARMF se rebiffe

LARDENOIS2
SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’un régime universel de retraite. Cette vaste réforme vous inquiète-t-elle ? La Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) est-elle menacée ?

Dr THIERRY LARDENOIS : C’est très compliqué car nous manquons d’informations. On nous a annoncé une grande réforme des retraites pour tous les Français sans en fixer les éléments fondamentaux. Il se trouve que nous allons fêter les 70 ans de notre caisse de retraite – la CARMF – qui a fait de l’excellent travail. C’est une caisse qui est équilibrée, qui a des réserves financières, qui assume ses responsabilités en termes de paiement des retraites mais aussi de prévoyance et d’action sociale. Le régime universel, c’est terriblement angoissant ! Que va devenir la caisse de retraite des médecins ? Nous sommes 200 000 médecins parmi 40 millions de non-médecins… Il y a un vrai risque de disparaître. Mon message est donc clair : nous ne voulons pas disparaître ! Non pas pour les postes ou les honneurs mais, encore une fois, parce que la CARMF fonctionne bien, que cette structure, gérée par les médecins pour les médecins, est en empathie avec la profession.

Mais sur le fond, êtes-vous hostile à cette réforme Macron du régime universel ? Doit-elle par exemple se cantonner au seul régime de base ?   

Nous sommes très favorables à cette réforme de solidarité mais nous voulons nous y intégrer en conservant ce qui fait notre force. Être favorable au régime universel ne signifie pas se faire effacer d’un trait de plume ! Il nous paraît normal que tous les actifs soient soumis aux mêmes règles du jeu, quel que soit leur statut, que les gens puissent reconstituer plus facilement leur parcours. Mais la profession médicale nécessite une compréhension et une prise en charge spécifiques. Or, aujourd’hui, nous n’avons aucune garantie et cela est annonciateur de dangers.

Lesquels ?

En clair, il n’est pas question de devenir des observateurs de notre retraite, et de subir l’évolution des paramètres financiers comme une chambre d’enregistrement. Nous voulons conserver une autonomie suffisante dans la gestion de notre régime complémentaire (44 % de la retraite, NDLR). Et nous sommes prêts à le négocier la tête haute. Contrairement à certaines caisses, nous avons un bilan et des résultats solides, nous ne venons pas pieds nus devant la tutelle pour quémander je ne sais quoi.

Quelles sont vos pistes dans le cadre de la réforme des retraites ?  

Pour simplifier, il faudrait constituer deux espaces différenciés. L’espace du régime universel, auquel nous participerons et que nous soutiendrons ; et notre propre espace de liberté, où nous pourrons garder une vraie autonomie de gestion, de la prévoyance et de l’action sociale. Nous n’irons pas signer une réforme qui serait imposée. L’État peut faire la réforme avec nous, avec toute notre aide et notre expertise, ou sans nous et toute notre opposition. Si l’État veut réussir, il a intérêt à partir de l’existant, et de ce qui marche. 

Autre sujet de forte inquiétude : le décret « placements » publié l’an passé qui restreint l’autonomie de gestion financière des caisses professionnelles, dont la CARMF. Avez-vous toujours des craintes ?

Nous avons bien sûr attaqué ce texte au conseil d’État. Ce décret n’a aucune légitimité, on punit la vertu ! Pendant 20 ans, nous avons constitué des réserves financières avec un très grand sens des responsabilités pour gérer notre propre déficit démographique ; et aujourd’hui, on nous explique que nous ne sommes plus capables de gérer ces 7 milliards d’euros de réserves, que nous risquons de dilapider notre capital… C’est incompréhensible ! Avec ce décret, on nous empêche de faire fructifier notre argent. Nous sommes des gens sérieux, toutes nos décisions sont contrôlées. Même l’État fait des placements plus hasardeux que nous.

Quel est le risque pour la CARMF ?

On ne va rien nous voler, ce n’est pas une spoliation directe qui se prépare. Mais en nous mettant des bâtons dans les roues, on nous prive de faire des bons résultats en matière de placements, il y a aura donc un immense manque à gagner pour la CARMF. Le premier risque, c’est donc de nous forcer à augmenter les cotisations.  Autre menace, rien n’interdit à l’État de mettre nos réserves dans un gros pot commun et de flécher autrement…

Depuis cinq ans les cotisations augmentent dans le régime complémentaire que vous gérez et cette année la valeur du point n’augmente pas. La CARMF est-elle si bonne gestionnaire ?

La CARMF est sans conteste meilleure gestionnaire que les syndicats ! En 5 ans, sur la période 2012/2017, nous avons une augmentation limitée des cotisations de 5,4 % dans le régime complémentaire alors que l’ASV, géré par les partenaires conventionnels, a subi 65 % de hausse de cotisation sur la même période ! Et dans le régime de base, c’est 36,3 % d’augmentation… Il n’y a pas photo.

Quant à la valeur du point du régime complémentaire, elle progresse envers et contre tout de 3,3 %, un peu au-dessus de l’inflation. La CARMF est droite dans ses bottes.  

Le régime ASV, qui représente tout de même 35 % de la retraite des médecins, est-il mal géré ?

Je ne souhaite pas polémiquer avec les syndicats médicaux, comme à l’époque de mon prédécesseur Gérard Maudrux. Je pense que l’ASV reste un mauvais système, qui n’a pas sa place dans le cadre des retraites. Est-il logique qu’une négociation conventionnelle se traduise dans la retraite des médecins ? L’ASV n’est pas un bon placement. Cela reste un régime coûteux, mal ficelé, avec certes une contrepartie conventionnelle. Mais imaginons qu’un jour la Sécu décide de se désengager de la prise en charge du secteur I… Les libéraux seront totalement floués.  

L’augmentation de la CSG a-t-elle provoqué de vives réactions chez les praticiens retraités ?

En tant que président de la CARMF, j’ai reçu une très grande quantité de lettres de médecins furieux au sujet de cette réforme.  Nombre de médecins n’ont pas compris cette augmentation et certains ont parfois accusé la CARMF d’en être responsable ! C’est vraiment un gros point noir, comme pour tous les autres retraités.

Y a-t-il un recours croissant de confrères démunis ou fragiles auprès de votre fonds d’action sociale ?

C’est stable. Ce fonds représente environ 6 millions d’euros. Nous étudions tous les dossiers pour cibler les dossiers les plus fragiles. C’est la fierté de la CARMF.

Vous mandat s’achève en septembre. Quel est votre plus grande fierté. Votre principal regret ?

Ma fierté est de ne rien avoir abîmé dans ce qui avait été construit à la CARMF. J’ai deux satisfactions : la mise en place de la réforme du temps choisi et la possibilité pour les médecins de bénéficier d’une meilleure indemnisation en cas de décès, jusqu’à 60 000 euros. Beaucoup d’ayants droit se retrouvent en effet dans des situations très compliquées au moment d’un décès, avec énormément de charges à payer.

Mon regret principal, c’est la prise en charge du délai de carence de 90 jours qui n’a toujours pas été possible. J’avais pourtant proposé une piste faisant appel aux compagnies d’assurances mais le ministère m’a opposé une fin de non-recevoir. Je n’abandonne pas cette idée.

Vous êtes généraliste installé en secteur I. Avec le Dr Gérard Maudrux, la CARMF était gérée par un urologue de secteur II. Cela change quelque chose ?

Entre Gérard et moi, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette ! Nous n’avons pas exercé les mêmes responsabilités mais nous avons le même mental et la même philosophie : l’amour du résultat, de notre profession et de notre pays.

 

 

             

        

 

   

 

 

 

 

Propos recueillis par Cyrille Dupuis