« Atypies », « tourisme médical » : l'IGAS pointe les dérives de l'AME mais se contente de proposer des aménagements

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Publié le 05/11/2019

Crédit photo : S. Toubon

Alors que le Premier ministre Édouard Philippe doit annoncer ce mercredi 6 novembre des mesures sur l'immigration et l'intégration, le rapport très attendu de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de celle des finances (IGF) sur l'aide médicale d'État (AME) a été publié ce mardi après-midi.

Ce document de 200 pages actualise les chiffres de l'AME, qualifiée de dispositif parmi « les plus généreux de l’Union européenne » pour un coût de 904 millions d'euros (+ 4,2 % en moyenne annuelle entre 2009 et 2018).

Le mécanisme de l'AME est double. Il inclut l’AME de droit commun (couverture santé aux étrangers en situation irrégulière pouvant démontrer une résidence d’au moins trois mois en France et un faible niveau de ressources) et le dispositif des soins urgents et vitaux (SUV, 40 millions d'euros), qui permet de compenser a posteriori les dépenses engagées par les hôpitaux pour l’octroi de soins à des étrangers en situation irrégulière non éligibles à l’AME.

318 000 personnes 

Fin 2018, l'AME de droit commun bénéficiait exactement à 318 106 étrangers en situation irrégulière (voir critères), nombre stable depuis 2015, à la différence du nombre des demandeurs d’asile bénéficiaires de la protection universelle maladie (PUMa, 109 783 demandes en 2018 que la mission ne prend pas en compte dans ce rapport). Les deux tiers de la dépense totale concernent les soins hospitaliers, et la dépense moyenne pour l’AME de droit commun est de 2 675 euros par personne en 2018.

Le « profil type » du patient en AME est un homme (54,3 % des bénéficiaires) de moins de 40 ans (70,5 %), qui n'a pas d'ayant droit. La moitié est concentrée en Île-de-France, dont 14 % à Paris. Selon les données des hôpitaux, « plus de deux tiers des bénéficiaires » viennent d’Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne. La nationalité algérienne est la plus représentée.

Leur consommation de médicaments est supérieure à celle des assurés pour ce qui est des traitements de la dépendance, de la toxicomanie, des maladies infectieuses (VIH, hépatites, tuberculose), des antalgiques et anti-inflammatoires. Elle est moindre en ce qui concerne les pathologies bénignes et les troubles psychiques.

« Migration pour soins » non marginale

Outre ces données chiffrées, le rapport fait état « d'atypies », d'après les données de l’agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) analysées par les inspecteurs. Ces atypies concernent principalement les accouchements, l’insuffisance rénale chronique, les cancers et les maladies du sang. « Elles renforcent de façon convaincante l’hypothèse d’une migration pour soins, qui n’est clairement pas un phénomène marginal, indique la mission IGAS-IGF. Plus d’un quart des étrangers en situation irrégulière citeraient les soins parmi les raisons de leur migration. »

La mission a analysé 180 dossiers anonymisés de patients bénéficiant de l’AME. La prise en charge en dialyse et en chimiothérapie oncologique a fait l’objet d’une analyse spécifique. Sur l'analyse de 99 dossiers de dialyse, dans 43 cas le patient est « déjà porteur d’une fistule artérioveineuse et dialysé dans son pays d’origine », et venu sur le territoire français dans un objectif de prise en charge sanitaire. Les bénéficiaires de l’AME représentent environ 1 % de la file active des patients en dialyse en 2018, dans les établissements de l’échantillon.

Pour 40 dossiers de chimiothérapie oncologique analysés, dans 10 cas (soit 25 % de cet échantillon), « il existe des éléments caractérisant avec certitude une venue pour soins après diagnostic et traitement initial dans le pays d’origine », ajoutent les auteurs du rapport.

En parallèle, les experts ont passé au crible les motifs de prise en charge de 310 patients relevant des soins urgents et vitaux (SUV) en 2018. 74 concernaient des accouchements par voie basse et 20 des césariennes. « Cette prévalence des naissances sous le dispositif des soins urgents interroge et conforte les dires de soignants évoquant la possibilité d’arrivées sur le territoire pour une prise en charge obstétricale », écrivent les auteurs du rapport.

Accès aux soins « non garanti » en ville

De ces constats découlent 14 propositions de la mission pour, certes, limiter les abus et les fraudes mais aussi pour « garantir un accès plus précoce aux soins ». Car loin de plaider pour la suppression du dispositif (ni même pour un droit d'entrée ou la réduction du panier de soins), la mission estime que l’accès aux soins pour ces patients AME n’est pas toujours « pleinement garanti » en médecine de ville, en raison de refus de soins. Elle recommande d’envisager « avec prudence » toute réforme qui aurait pour effet « d’augmenter le renoncement aux soins et de dégrader l’état de santé des populations ciblées ».

Pour autant, parmi les suggestions de l'IGAS et l'IGF, on retrouve une batterie de mesures anti-fraudes : imposer le retrait en guichet des cartes d’AME par le bénéficiaire dans un délai de deux mois (pour bien vérifier l'identité du demandeur), faute de quoi les cartes seront détruites et les droits clos ; systématiser les contrôles d’identité en cas d’absence de passeport ; donner accès aux caisses d'assurance-maladie à la base de données Visabio (qui informe sur les visas octroyés).

Pour lutter contre les usages abusifs, le rapport préconise la mise en place d'un contrôle médical par l'Assurance-maladie et la création d'un dossier médical partagé obligatoire (DMP) pour ces patients. Et pour empêcher l’octroi de visa aux « touristes médicaux » ou leur entrée sur le territoire, la mission suggère d'informer les consulats de France et la police aux frontières sur les bénéficiaires présents et passés de l'AME (et de leur donner accès aux créances hospitalières).

Délai de carence pour certains soins

Un délai de carence de neuf mois est aussi proposé pour la prise en charge de soins programmés non-essentiels (liste à définir), avec dérogation en cas d’urgence. Le régime maladie des demandeurs d’asile pourrait aussi se voir appliquer un délai de carence de trois mois pour l’ouverture des droits à la PUMa.

En ville enfin, la mission conseille de transformer la carte AME en une carte à puce « de type carte Vitale », pour la télétransmission et le suivi des prescriptions. Pour faciliter leur prise en charge, le forfait patientèle médecin traitant (FPMT) pourrait être étendu aux patients en AME, et une visite médicale de prévention, expérimentée à Paris et en Seine-Saint-Denis, proposée aux nouveaux bénéficiaires lors du retrait de leur carte.


Source : lequotidiendumedecin.fr