Il arrive, d'aventure, au cours d'une carrière de médecin, homme ou femme, dans l'exercice de sa profession, d'être touché, troublé voire envahi par un sentiment qui, par définition, échappe à la raison et qui porte le nom usuel et universel : l'Amour. Je l'écris avec un grand « A » pour souligner la noblesse et la grandeur de cet émoi qui dépasse et de loin le simple béguin, dirons-nous, ou avec les mots des jeunes d'aujourd'hui « le kif » ou tout simplement l'attrait, l'attirance superficielle et éphémère.
Mais si tel est le cas, pour chacun des médecins que nous sommes, cette situation pose immanquablement un dilemme, ou un cas de conscience, voire un véritable problème cornélien qui consiste, d'un côté, à ne pas céder aux charmes des sirènes et, par conséquent, à « passer son chemin », dirons-nous au nom du sacro-saint code de déontologie, les « saintes écritures » – et le mot « saintes » est choisi à dessein, à le comprendre par la suite ; et de l'autre, de laisser parler son cœur au sacrifice d'une éthique, qui ressemble d'ailleurs bien plus à un vœu pieux qu'à une norme sociale, civile, humaine.
Nul d'entre vous, chers lecteurs, plus ou moins aguerri par de longues années de pratique ne peut se vanter un tant soi peu d'avoir pu esquiver ce « démon », un tel élan qui, du reste, et à mon sens relève bien davantage de l'humain et de sa condition et sa constitution faible que d'un penchant prétendument pervers ; même si, par ailleurs, tout existe dans ce bas monde. Or, lorsque les faits restent discrets, à l'abri surtout des instances qui veillent à l'application de la déontologie, l'Ordre, l'Amour assumé entre deux adultes réciproquement consentant ne peut que vivre des jours paisibles et heureux.
En revanche, dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsque les faits arrivent d'une manière ou d'une autre aux oreilles de ces messieurs mesdames les hauts dignitaires et garants de l'éthique et la probité de la profession et de ses membres, les problèmes commencent. L'institution alors crie « aux loups » dans la bergerie, la faute est pointée du doigt et fait l'objet, d'un anathème qui frappe le fauteur ; la machine disciplinaire se met alors en marche.
Etrange article du code de déontologie
D'ailleurs, à cet égard, un nouvel article du code de déontologie stipule dorénavant l'interdiction de tout acte sexuel avec un ou une patient(e) dans l'exercice de son métier. Et c'est bien de cette question de fond, aussi bien éthique d'ailleurs que finalement idéologique, dont il est question ; dès lors qu'il y a lieu par ce nouvel article de s'interroger sur une éventuelle dérive sectaire de l'Ordre qui est censé nous représenter, nous, médecins.
J'attire d'ailleurs votre attention, cher(e)s lecteurs (trices) sur le parallèle, certes facile, entre le prêtre qui fait vœu de chasteté pour consacrer sa vie à un seul Amour, celui envers le Divin et le médecin voué, dorénavant à lui aussi faire vœu de chasteté à l'égard de ses patient(e)s. Cette dérive, ou ce glissement sémantique, nous conduit à placer le médecin du côté du soin, de la santé, mais, au final, aussi du côté de la « sainteté », autant dire, du Religieux. Et cette posture serait validée par ce gage de « pureté », qui met un voile pudique mais surtout hypocrite ou qui voudrait dénoncer des prétendues intentions ou actes malsains alors que la relation médecin/malade repose sur la confiance mais est aussi une histoire interhumaine.
Sans rappeler les plus sombres pages de l’histoire de France, chacun sait, de bien triste mémoire, que l'Ordre des médecins sous Vichy n'a pas « démérité » par son zèle à l'égard des médecins juifs de France selon des procédures expéditives d'exclusions et d'interdictions d'exercer. Mais, là, aujourd’hui, il ne s'agit pas d'épurer la profession au nom d'une confession religieuse. Il est question de purifier la médecine française de tout acte d'Amour. L'Amour en regard du code est devenu une faute, au même titre que le péché en regard de l'Église. Et vous avez alors compris, chers(ères) lecteurs(trices), que entrer en Médecine équivaut aujourd'hui non seulement à faire partie d'un Corps représenté par un Ordre, ô combien respectable, par ailleurs ; mais c'est aussi, d'une certaine manière rentrer dans « Les Ordres ».
L'Amour ne fait plus curieusement partie de ce lien qui relie les hommes dignes de ce nom. Il est devenu une faute professionnelle, à dénoncer et sanctionner. Triste sort réservé autant à nous, confrères, qu'à nos patient(e)s. À mon sens, la profession subit les affres inexorables d'un monde qui amalgame, se clive, se délite, se disloque et se déshumanise. Alors, reste l'humour pour ne pas sombrer dans la mélancolie pour ne pas non plus commettre l'irréparable : « Prions mes très chers(ères) (con)frères pour des jours meilleurs ! Amen ! ». Pour ma part, bien que de tempérament le plus souvent plein d'espoir, j'avoue que là : je ne suis pas vraiment optimiste.
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