Comme citoyen, je suis attaché à la démocratie et qu’importe que ce soit dans le cadre d’une monarchie ou d’une république finalement car l’expression de mon vote a du sens et un intérêt. Mais je suis amené à vivre la perversion du système politique et bureaucratique actuel dans mon exercice professionnel et je constate qu’en ayant participé activement à la vie démocratique de mon pays, je suis finalement responsable d’avoir contribué à cela.
Par mégarde et par ignorance, par naïveté et par incompétence, je ne sais exactement; mais je sais que ma décision de ne pas voter au second tour des Régionales a été une façon pour moi de voter puisque, selon l’analyse systémique, cela est considéré comme un vote malgré tout, alors que, selon l’approche analytique, cela est considéré comme une abstention (et donc sans vote exprimé). Mais j’ai l’exemple même où la politique et la bureaucratie sont à un niveau de connivence tel que je ne peux qu’avoir ras-le-bol du système politique et bureaucratique actuel. Finalement, le citoyen et le professionnel que je suis sont unis face à l’adversité et je vote en ne votant pas car j’y découvre un sens et un intérêt.
Malaise dans la psychiatrie publique
La psychiatrie hospitalière publique (principalement) est secouée, actuellement en cette année 2021, par une mesure de bon sens démocratique découverte à la suite d’une QPC en 2020 mais, depuis que la Ve République existe en 1958, enfin appliquée. Après les lois de 1838 et 1990, l’hospitalisation sous contrainte, sans contrôle judiciaire, a été transformée en soin sans consentement avec l’intervention du juge des Libertés et de la Détention (JLD) par les lois de 2011 et 2013. D’une mesure purement médico-administrative, chère à notre France jacobine, la démocratie est enfin entrée dans les soins et la prise en charge psychiatrique des patients dont le soin hospitalier était obligatoire et dans l’impossibilité de donner son consentement éclairé à un soin adapté. La restriction des libertés exigeait cela et les normes démocratiques le recommandaient.
Cette évolution médico-légale et administrative s’est faite, par ailleurs, à moyens humains et financiers constants pour autant mais sans problèmes particuliers finalement ni difficultés majeures malgré tout. Les psychiatres et les équipes soignantes ont fait au mieux pour cette évolution importante comprise et acceptée dans la mesure où la logique démocratique rejoignait aussi la logique thérapeutique. Mais tout n’était pas encore parfait bien sûr et la suite s’avère bien plus compliquée !
Car la politique et la bureaucratie se sont unies pour nous imposer des mesures nouvelles et exigeantes au point qu’elles sont considérées par beaucoup de psychiatres hospitaliers comme impossibles et irréalisables. Elles n’en sont pas moins comprises et acceptées sur le fond mais le malaise existe dans la profession car, pour ce qui est de la forme, réévaluer les indications de moyens de contention toutes les 6 heures et l’indication de la chambre d’isolement toutes les 12 heures, s’avère totalement irréaliste et impossible pour celles et ceux qui sont dans le service hospitalier à soigner, aider et accompagner les patients et patientes en situation de crise majeure car les services manquent de psychiatres et les équipes sont souvent trop limitées en nombre de soignants. De plus, le temps médico-administratif va augmenter sensiblement prenant du temps humain et relationnel qui est le plus important dans la dynamique thérapeutique du soin psychiatrique et psychothérapeutique.
Alors même que la Constitution a été rédigée en 1958 et que d’aucuns ne s’inquiétaient à l’époque de nos mesures très restrictives de liberté par l’isolement voire la contention, nous subissons un changement majeur et inquiétant. En peu de temps, et par la lumière des « sages » qui ont été enfin sollicités, nous passons d’un excès d’absence de démocratie à un excès d’exigence démocratique alors même que les moyens humains et financiers ne sont pas présents ! La politique a validé cette évolution sans concertation avec les syndicats de psychiatres qui alertaient des risques d’une exigence absolue inapplicable; et la bureaucratie s’est appliquée au mieux pour aboutir enfin à cet idéal oublié depuis 1958 et enfin rappelé par les « sages » du Conseil constitutionnel confortablement installés dans leur bureau du Palais Royal à Paris.
Fatigue politique, ras le bol démocratique
Avec un jeune président, ancien banquier et beau bureaucrate d’une part et un jeune premier ministre, ancien Haut fonctionnaire et vieux routier des couloirs ministériels d’autre part, nous sommes dans la quintessence donc de ce que la politique et la bureaucratie peuvent faire au mieux en ce moment. Et cela explique de beaucoup, selon moi, la fatigue démocratique et l’épuisement électoral constaté récemment.
Que le Conseil constitutionnel nous rappelle que certaines mesures propres à la psychiatrie doivent être sous le contrôle du JLD. Soit. Ne discutons pas. Sur le fond, nous sommes d’accord. Mais que la bureaucratie cautionne d’emblée les exigences idéales attendues du mieux dès que possible sans respecter ce qu’elle sait des difficultés connues du terrain. Et, que les politiques votent ces nouvelles mesures sans concertation ni évaluation avec les professionnels de santé concernés me choquent de beaucoup car, sur la forme, c’est un scandale au vu des contraintes majeures imposées alors même que la charge de travail est déjà conséquente.
Par ailleurs, dois-je citer les x procédures où la politique et la bureaucratie ont agi au mieux contre nous… : le changement de notre statut de praticien hospitalier et la loi HPST des années Sarkozy avec la gouvernance hospitalière hyper-bureaucratisée désormais…
De plus, pour ce qui est de l’hôpital public, l’administration nous fait suivre depuis des années, sournoisement et à pas feutrés, la procédure type France Télécom/Orange. Ainsi, Il n’y a plus de recrutements d’agent titulaire mais des CDI. La fonction publique hospitalière va cesser progressivement, comme le statut de cheminot n’existe plus à la SNCF pour les nouveaux contrats signés désormais ces derniers temps.
Vu donc que j’ai voté pour aboutir à un système démocratique et bureaucratique pareil qui se retourne contre moi mais aussi contre d’autres citoyens, je vote en ne votant pas car c’est bien ainsi que je peux exprimer encore plus et mieux mon ras-le-bol démocratique et cette fatigue politique que j’ai d’un système que je considère phagocyté par la bureaucratie avec la politique qui compte les votes exprimés dans l’urne sans critique et autocritique de son attitude et de ses décisions mais aussi sans oublier finalement que le dialogue et l’écoute ne se font plus dans les deux sens ce qui est le propre d’une démocratie, après tout.
D’une question professionnelle à une expérience personnelle, je suis passé au questionnement politique et existentiel car ce « tout ça pour ça », au lendemain d’une crise sanitaire, et sans aucune concertation ni évaluation des contraintes imposées, me bouleverse et me fait réagir. Ne pas voter est donc plus que vital car vive la démocratie ou tant le vote que le non-vote a du sens et du bon sens. Ce nouveau parti de France devrait se structurer pour exiger la cohérence politique attendue et la sagesse bureaucratique espérée. Et plutôt en évolution qu’en révolution. Sinon advienne que pourra.
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