L'idée, lancée fin janvier par l'Ordre des médecins a été reprise mi-février par le Premier ministre lors de sa Grande conférence de santé. Mais avant que les médecins ne goûtent aux délices de la recertification, le chantier devra encore passer par bien des étapes. Ne serait-ce que parce que les réticences sont encore nombreuses. Et les candidats sont légion pour piloter cette opération.
Le mot est sur toutes les lèvres, l’idée dans toutes les têtes. Chantier (re)lancé par l’Ordre des médecins dans son « Livre blanc pour l’avenir de la santé », la recertification des médecins fait son grand retour dans le débat public. Mais cette énième résurgence du serpent de mer pourrait être la dernière et le mettre définitivement sur les rails.
Au terme de la Grande conférence de santé, le 11 février dernier, le gouvernement a, en effet, indiqué lui aussi vouloir « mettre en place la recertification des professionnels de santé ». Preuve de sa volonté d'y parvenir, la « feuille de route » de Manuel Valls prévoit une concertation avec, pour objectif, de définir les modalités concrètes d’application. Des points qui donneront lieu à de vives discussions car si le principe même – œuvrer à l’amélioration de la qualité des soins – fait consensus, les solutions quant à sa réalisation ne semblent pas, en revanche, faire l’unanimité.
« Ça n’est pas une idée qui nous est venue spontanément, explique Patrick Bouet, le président du Cnom, ce qui a accéléré les choses, c’est la grande consultation menée par l’Ordre. » Et, notamment, le fait que 55 % des 30 000 médecins ayant répondu à son questionnaire se soient dits favorables à « une recertification périodique assortie d’une promotion professionnelle ». Le président de l’Ordre l’assure, « c’est une donnée nouvelle par rapport à il y a une dizaine d’années ». Ce qui l’a donc incité à s’emparer du sujet, non sans les précautions d'usage. Il n’est toutefois pas le seul à s’intéresser de près à la question.
L'idée de la recertification ne nous est pas venue spontanément. Ce qui a acceléré les choses, c'est la grande consultation menée par l'Ordre
Dr Patrick BOUET
président du CNOM
Bouet est moteur, Druais intéressé, les syndicats circonspects
« L’idée de la recertification a été entendue par plusieurs acteurs, notamment l’Ordre, qui a été très contributif à cette Grande conférence et dont les propositions recoupent, pour l’essentiel, celles entendues durant la concertation », souligne Lionel Collet, chargé de son pilotage. Rien de plus normal cependant à ses yeux car « dès qu’on discute de l’adaptation des compétences des professionnels, on ne peut pas se contenter de se poser la question du DPC ou de l’insuffisance professionnelle. Il se pose véritablement celle de la recertification ».Engagé depuis des années sur ce sujet, Pierre-Louis Druais soutient plutôt ce concept : « La recertification des professionnels, à l’issue de leur formation initiale à l’université, est un combat essentiel, c’est une sécurité pour les professionnels et la population ». « Personne ne peut être contre », poursuit le président du Collège de médecine générale (CMG)… Mais d’ajouter, prudent, que « les professionnels actuellement en exercice ont évidemment le droit de s’interroger sur ce en quoi va correspondre la recertification puisqu’on n’a pas encore formalisé la certification ».
Certifier avant de recertifier. Le préalable paraît indispensable. Mais ne suffira certainement pas à satisfaire les syndicats. Quoique peu virulente, leur opposition n’en est pas moins diffuse alors même que le gouvernement s'est montré habile, systématisant le futur processus pour les prochains médecins et laissant le choix aux actuels professionnels de s'y engager.
La recertification des professionnels, à l'issue de leur formation à l'Université, est un combat essentiel
Pr Pierre-Louis Druais
président du Collège de la médecine générale
Dans un court mais non moins incisif communiqué publié une quinzaine de jours après la prise de position de l’Ordre, la CSMF « dénonce cette mesure contraignante qui ignore les efforts déjà consentis par les médecins libéraux en matière de formation et d’évaluation de leurs pratiques ». Du côté de MG France, la proposition de l’Ordre n’enthousiasme pas davantage. « C’est non dans l’état du système actuel », indiquait, catégorique, Claude Leicher dès le lendemain de l’annonce du CNOM. Une position qui n’a pas varié au vu des quelques précisions apportées par la feuille de route de Manuel Valls. « Nous ne savons pas ce qu’est la certification », note Claude Leicher, toujours réticent, pour qui « avant de parler du processus final, il convient de parler du point de départ ». Aux yeux du président de MG France, tout comme la certification des établissements de santé, celle des médecins devrait répondre à « un cahier des charges » qui définirait en quoi consiste le processus. Et désignerait un interlocuteur pour l’animer.
Ordre, Collège, Fac ou HAS : qui sera le maître d'œuvre ?
Pour animer ce chantier, les prétendants sont nombreux (lire aussi l'interview du Pr Hassenteufel). L’université, le Collège de la médecine générale et le Conseil de l’Ordre font figure d’acteurs incontournables à ce stade. La certification s’apparenterait à « un travail de coopération entre les universités, qui attesteraient d’un cursus et d’une formation, et les collèges de chaque spécialité », défend Pierre-Louis Druais. Une fois le diplôme universitaire obtenu, « on pourrait très bien imaginer que la qualification (Ndlr : actuellement demandée à l’Ordre) soit assortie d’une certification par les collèges professionnels et disciplinaires », poursuit le président de celui dédié à la médecine générale, qui pourrait, dès lors, se retrouver en première ligne. Associer le Collège de la médecine générale au processus de certification se justifie, à ses yeux, par le rôle même de cette instance : faire vivre le référentiel métier-compétence et l’amender au gré des innovations et évolutions de la profession.Mais cette construction reste insatisfaisante pour Claude Leicher selon qui, s’agissant de la médecine générale, « on n’est qu’au début de la rédaction des références disciplinaires ». Outre la nécessité d’alimenter le document existant, « il doit être diffusé dans la profession », ajoute le généraliste drômois qui émet également des doutes sur la qualité de l'actuel DPC.
C’est d’ailleurs là l’un des enjeux cruciaux de la recertification : lui assigner une place par rapport au DPC. Car, dans la proposition de l’Ordre, il n’est nullement question de revenir sur la formation continue des professionnels mais au contraire de la « renforcer ». « L’obligation de DPC assurant le maintien des compétences ne serait pas le marqueur unique de l’insuffisance professionnelle, mais un des éléments de son appréciation », détaille le document de l’Ordre.
Le gouvernement est-il dans le même esprit ? Les mauvaises langues arguent que la tentation de faire oublier les errements du DPC pourrait être grande… Pourtant, pour Jean-Paul Ortiz, « ce n’est pas nécessaire d’inventer un nouveau machin, les médecins n’ont pas besoin d’être à jour de recertification car ils le font déjà, sans le savoir, avec le DPC ». Si la recertification consiste à « avoir un DPC à jour, alors on est d’accord », précise le leader de la CSMF qui voit le DPC comme devant « être le garant d’une évolution des connaissances de professionnels et d’une bonne prise en charge de la population ».
Une analyse que ne partage pas Pierre-Louis Druais : « Le DPC n’est pas l’alpha et l’oméga de la compétence des médecins ». Et d’autant moins, compte tenu des défaillances actuelles de la formation continue. À ses yeux, la recertification ne doit pas être un outil de diversion pour les occulter. « Il faut qu’on se donne les moyens de développer non seulement le DPC mais aussi des outils de traçabilité des compétences supplémentaires, ensuite seulement on pourra parler de recertification », explique-t-il. Un bon observateur du dossier souligne, quant à lui, la complémentarité des dispositifs : là où le DPC s’assure de l’état des connaissances des professionnels, la recertification s’attache à appréhender leurs compétences, leur savoir-faire et leur savoir-être.
Au-delà du terme – dont Marisol Touraine convient elle-même qu’il n’est pas nécessairement le plus adapté – à quoi sert la recertification ? Dans l’esprit de Patrick Bouet, il s’agit de garantir le maintien à niveau des compétences. « Ce n’est pas une rediplômation », insiste-il. Distinguant sa proposition du modèle anglo-saxon où les professionnels sont soumis, périodiquement, à des examens, il se réfère à celui « hollandais qui procède à l’analyse de l’ensemble de l’activité d’un professionnel ». « En Hollande, c’est un processus professionnel qui associe l’Ordre, les collèges nationaux de spécialité et l’université car c’est elle qui forme initialement les professionnels », détaille-t-il. Et d’exposer : « le modèle français devrait être piloté par l’Ordre et articulé avec d’autres interlocuteurs ».
Les processus itératifs ne sont pas efficaces quand à l'amélioration des compétences
Dr Jean-François Thébaut
membre du collège de la HAS
La Haute Autorité de santé par exemple ? Chargée des processus d’évaluation des établissements de santé, elle pourrait, en effet, avoir son mot à dire. Non pour procéder, elle-même, à la recertification mais davantage pour en établir les lignes directrices. D’ailleurs, la proposition de l’Ordre concorde avec l’un des constats dressés par le Dr Jean-François Thébaut en la matière : « Ça ne peut pas ne pas être fait par les pairs, assure ce membre du collège de la HAS, la mise en œuvre est obligatoirement faite par eux qui sont les seuls à même de déterminer le cahier des charges ».
Reste qu'à ce jour, aucun pilote de ce chantier n'a été officiellement désigné, et l'enjeu de pouvoir n'est pas mince (voir l'interview du Pr Hassenteufel) À l’occasion des travaux préalables à la Grande conférence de santé, « l’une des grandes questions, sur le sujet, c’est qui va le faire », confie Lionel Collet. Il s’interroge sur la suggestion, entendue dans l’un des groupes de travail, désignant la fac. « Les hospitalo-universitaires ne seront-ils pas trop loin de la pratique de terrain des professionnels libéraux ? Et en même temps, le rôle de l’université dans l’évolution des compétences est tel qu’elle ne peut pas être exclue de la mise en place » de ce processus, ajoute-il. Les collèges de professionnels propres à chaque discipline peuvent également prétendre à un rôle de premier plan car ils ont, en leur sein, la représentation professionnelle, scientifique et universitaire. Quant à l’Ordre, il a pour lui la loi Kouchner de 2002 qui ajoute aux missions ordinales notamment celle d’être « garant de la compétence des médecins », rappelle Patrick Bouet.
La carotte ou le bâton ?
Mais la question la plus délicate est ailleurs. Certification, mais en échange de quoi ? Le CNOM y apporte une réponse d’ordre pécuniaire : dans son questionnaire puis dans la synthèse des résultats qu’il en a faite, il assortit l’éventualité d’une recertification de « bonus de rémunération pour les médecins libéraux ». À cet égard, « l’Ordre donne l’impulsion et les syndicats négocient ensuite », précise son président.La valorisation du praticien apparaît aussi, aux yeux de Lionel Collet, comme un moyen de faire accepter, auprès des professionnels, une évolution du système. Il juge
ainsi : « Dès qu’on aborde les questions de modernisation avec des professionnels de santé quels qu’ils soient, l’idée est globalement acceptée ».
Il y aurait les « bons » qu'il faudrait booster, mais aussi les « moins bons ». Et il faudrait aussi accompagner ces derniers, insiste Jean-François Thébaut. Faute d’un tel équilibre, le système reviendrait, selon lui, à entériner les seconds dans cette catégorie. Or, il ne faut pas perdre de vue qu’eux-aussi soignent des gens, souligne-t-il, et que l’intérêt du processus est de faire progresser la qualité des soins. Un souci qui, à ses yeux, justifierait une « démarche en continu. Ce qui est important, c’est d’améliorer l’exercice au quotidien, le processus doit être intégré à la pratique quotidienne », poursuit-il, ayant noté que « les processus itératifs ne sont pas efficaces quant à l’amélioration des compétences » car les efforts ne sont faits que la dernière année. Cette suggestion éclairera vraisemblablement les prochaines réunions de travail, l’Ordre des médecins et la feuille de route du gouvernement prévoyant tous deux un mécanisme périodique.
On le voit, le groupe de travail aura fort à faire pour répartir les rôles et aboutir à un système satisfaisant toutes les parties prenantes. Un défi loin d'être gagné. « Le tout (sera) de savoir qui fera quoi et selon quelles modalités », résume Lionel Collet. « Et on est dans un savant dosage », ajoute-t-il, lucide.