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Dossier

Endocrinologie

Diabète de type 2 : exit l’approche glucocentrée ?

Par Hélène Joubert - Publié le 24/01/2022
Diabète de type 2 : exit l’approche glucocentrée ?


VOISIN/ PHANIE

L’approche glucocentrée du diabète de type 2 a-t-elle vécu ? Avec, d’un côté, peu de données soutenant l’impact d’une baisse de l’HbA1c sur la survenue des complications macrovasculaires et, de l’autre, plusieurs molécules ayant la preuve de leur effet cardio- et rénoprotecteur – indépendamment du niveau glycémique –, la question se pose. Mais, pour la Société francophone du diabète, l’optimisation du contrôle glycémique reste essentielle.

En une décennie, l’approche du diabète de type 2 s’est totalement transformée. Si, pendant longtemps, la prise en charge des patients est restée essentiellement glucocentrée, l’arrivée de molécules ayant une action préventive sur l’insuffisance cardiaque et rénale a changé la donne. Avec, désormais, des stratégies personnalisées qui ne se focalisent plus seulement sur l’équilibre glycémique mais prennent davantage en compte les bénéfices escomptés en termes de protection cardiaque et rénale.

Une large place pour les molécules ayant fait leurs preuves sur le risque CV ou rénal

En témoigne la nouvelle prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) sur « l’utilisation des traitements anti-hyperglycémiants dans le diabète de type 2 » qui fait une large place aux traitements les plus récents. Dans la lignée d’autres sociétés savantes, notamment européennes, la nouvelle feuille de route de la SFD acte la mise en retrait des iDPP-4 et surtout des sulfamides et accorde une place privilégiée aux inhibiteurs du co-transporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT2 ou gliflozines), à côté des analogues du GLP-1 (aGLP-1) (voir ci-contre). Disponibles depuis 2020 en France, les gliflozines arrivent même très tôt dans l’algorithme en raison de l’absence de risque hypo­glycémique intrinsèque, d’un effet sur la perte de poids et de leur caractère cardio- et néphroprotecteur. « Nous disposons de classes médicamenteuses qui permettent, selon les molécules, de protéger les patients diabétiques sur le plan cardiovasculaire et rénal, avec un gain sur la mortalité, justifie le Pr Bernard Bauduceau, diabétologue et membre du groupe de travail. C’est un progrès considérable. »

Une évolution dont se félicite aussi le Collège national des généralistes enseignants (CNGE), qui milite depuis de nombreuses années pour des prescriptions fondées sur les preuves. « Cette mise en avant de ces deux classes médicamenteuses est conforme aux données de la science », souligne le Pr Rémy Boussageon, président du conseil scientifique du CNGE. En miroir, « les molécules indiquées chez le diabétique tout-venant (plutôt jeune et sans comorbidité particulière), et ne disposant pas de preuves sur la morbi-mortalité, ne devraient pas être recommandées sur le seul argument qu’elles font baisser la glycémie », estime le généraliste lyonnais. Par exemple, « les inhibiteurs de la DPP-4 n’ont absolument pas démontré un effet sur la morbi-mortalité, à l’instar des sulfamides, de l’acarbose et même de la metformine, comme l’a établi la dernière méta-analyse Cochrane en 2020. Leur place devrait, de ce fait, se limiter à maintenir artificiellement un niveau d’HbA1c inférieur à 9 % pour éviter par exemple des complications métaboliques ou microvasculaires. » Pour pouvoir statuer plus précisément sur la metformine, le CNGE propose de mener un essai randomisé en soins primaires comparant en 1re intention cet antidiabétique aux gliflozines et aux aGLP-1.

Faut-il pour autant abandonner la vision glucocentrée, les stratégies thérapeutiques comportant les iSGLT2 et les aGLP-1 pouvant être proposées d’emblée à certains diabétiques présentant une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale, et ce, indépendamment de leur équilibre glycémique ? Non, répond la SFD, car même dans ce cas, l’objectif glycémique est secondaire mais néanmoins indispensable. Et chez le diabétique tout-venant, « parvenir aux objectifs glycémiques reste essentiel en association avec la lutte contre les facteurs de risque ».

La fin du tout HbA1c ?

Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité. Depuis plusieurs années, le CNGE souhaite ainsi remettre l’objectif glycémique à sa juste place et questionne le diktat de l’HbA1c. Si l’hyperglycémie chronique n’est souhaitable pour personne, le Pr Rémy Boussageon conteste le fait de prescrire un médicament simplement parce qu’il réduit l’HbA1c, aucun antidiabétique – en dehors des analogues des aGLP-1 et des iSGLT2 – n’ayant selon lui démontré clairement un impact sur la morbi-mortalité. Concernant l’intérêt de viser une glycémie basse sur les complications macrovasculaires, « rien n’est démontré et les études anciennes comme UKPDS, etc., comportaient des biais que plus personne ne conteste aujourd’hui, et vouloir conclure sur leur suivi à long terme est un non-sens », estime Rémy Boussageon. Bien que partageant cet avis sur la qualité des études, la SFD ne voit pas les choses du même œil : « Le bénéfice existe pour les complications macrovasculaires, mais il ne devient significatif qu’après un temps plus prolongé de suivi (d’après les études observationnelles UKPDS et VADT) et s’estompe progressivement si l’équilibre glycémique se détériore avec le temps (VADT). » Pour autant, comme le souligne le Pr Boussageon, le suivi à 15 ans de VADT, qui a comparé initialement l’effet d’un contrôle intensif du DT2 versus contrôle standard, n’a pas montré de bénéfice sur les évènements cardiovasculaires, infirmant la notion d’« effet mémoire » d’un contrôle glycémique intensif initial sur les conséquences cardiovasculaires.

Quant au bénéfice d’un équilibre glycémique optimal sur les complications microvasculaires, notamment rétiniennes et rénales, celui-ci est largement démontré, estiment les diabétologues. « Celles-ci sont en effet prévenues par un objectif glycémique bas, reconnaît le Pr Boussageon, mais dans des proportions si modestes que les risques du traitement intensif peuvent contrebalancer les bénéfices. » Une étude clé parue dans The Lancet Diabetes & Endocrinology en 2017, regroupant les quatre essais randomisés majeurs (Accord, Advance, UKPDS et VADT), concluait que des valeurs d’HbA1c entre 6-7 % versus 7-8,4 % sur 5 ans permettaient une réduction du risque de 10 à 20 % des évènements rénaux (microalbuminurie), de 13 % pour les évènements oculaires, sans impact sur la neuropathie ni les complications graves (cécité, insuffisance rénale). Ainsi, « pour un homme de 65 ans, par exemple, diabétique de type 2 depuis 10 ans dont l’HbA1c se situe à 8 %, le risque de cécité est de 2,9 % et d’amputation de 3,1 % à 10 ans, illustre Rémy Boussageon. En admettant que le contrôle glycémique réduise la rétinopathie de 13 % selon la méta-analyse, cela fait passer le risque de 2,9 % à 10 ans à 2,5 % au prix d’effets indésirables… » À l’approche glucocentrée, le CNGE préfère donc une approche « réduction de risque », dans une démarche globale centrée sur le patient.

De son côté, la SFD reste fidèle à l’HbA1c même si les valeurs cibles sont moins uniformes et moins strictes qu’à une époque. Depuis 2017 et sa première prise de position sur le sujet, la société savante plaide pour un contrôle optimisé de l’équilibre glycémique adapté au profil clinique du patient. La nouvelle feuille de route confirme cette tendance tout en simplifiant les objectifs glycémiques, fixés à 7, 8 ou 9 % selon le degré de fragilité des patients. Par ailleurs, des bornes inférieures ont été ajoutées afin de limiter le risque hypo­glycémique chez les patients âgés ou présentant un diabète compliqué lors d’un traitement par sulfamides, glinides et insuline.

Pour sa part, le CNGE, tout en reconnaissant qu’il ne faut pas laisser filer une glycémie, conteste le fait que la valeur seuil d’HbA1c communément admise pour une grande partie des diabétiques tout-venant soit étayée par une quelconque preuve scientifique fiable. De plus, se placer dans une logique de cibles glycémiques « conduit à empiler les traitements pour y parvenir, prévient Rémy Boussageon, au risque de provoquer des effets indésirables et de se détourner de la prescription d’autres médicaments probablement plus utiles, tels que les IEC et les statines. »

La SFD met également en garde contre l’empilement des antidiabétiques. Le portefeuille thérapeutique étant désormais suffisamment étoffé pour changer de cap si une stratégie s’avère inefficace, la désescalade thérapeutique doit être une ligne de conduite rappelle la société savante. « Sans amélioration vis-à-vis de l’objectif glycémique après six mois au maximum, il faut éviter l’empilement des molécules et réenvisager complètement la stratégie », insiste Bernard Bauduceau.