Exercice coordonné des professionnels, renfort de 400 généralistes dans les hôpitaux de proximité, autorisation de prescription confiée aux pharmaciens... à la veille de son examen en séance ce lundi 18 mars à l’Assemblée, son rapporteur, le Dr Thomas Mesnier, défend les principales mesures du projet de loi de santé. Le député LREM de Charente et médecin urgentiste réfute l’idée d’un texte trop techno, centré sur l’hôpital et rédigé sans concertation. Cette réforme va selon lui permettre de réorganiser efficacement le système de santé français à l’échelle des territoires. Entretien.
Que va changer cette nouvelle loi de santé pour les généralistes ?
Dr Thomas Mesnier : Pour les plus jeunes, la formation et l’accès aux études de médecine ne seront plus les mêmes. Le profil des futurs médecins sera plus divers. Le texte prévoit aussi la sécurisation du contrat d’engagement de service public (CESP) et des conditions élargies pour le statut de médecin adjoint. L’organisation des soins sera améliorée, avec le déploiement accéléré des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ainsi que la possibilité donnée aux praticiens de créer un projet territorial de santé dans les ARS avec les établissements hospitaliers et médico-sociaux. Le partage de compétences sera développé. La généralisation de la e-prescription va aussi faire évoluer la pratique des généralistes.
Les soins de ville sont-ils assez présents selon vous dans ce texte par rapport aux mesures hospitalières ?
Dr T. M. Beaucoup avaient qualifié Ma santé 2022 de « plan hôpital », c’était une erreur. Entre le médecin adjoint, le CESP, le projet territorial de santé, les CPTS et les assistants médicaux – je vais déposer un amendement pour leur inscription dans la loi – de nombreuses mesures concernent la médecine de ville. C’est une loi de santé globale, pour la médecine de ville et hospitalière.
La généralisation de la e-prescription va faire évoluer la pratique des généralistes
La création du projet territorial de santé au sein des ARS effraie certains médecins qui y voient un énième échelon administratif. Cette loi n’est-elle pas trop « techno » ?
Dr T. M. Il ne s’agit pas d’un nouvel échelon. Le projet territorial de santé sera facultatif et mis à disposition des professionnels des CPTS souhaitant travailler en coordination avec les établissements hospitaliers et médico-sociaux. C’est une base pour se mettre autour de la table et travailler en commun. Cette loi peut paraître assez "techno" parce que la santé est un domaine technique mais elle ne l’est pas. Je pense au contraire qu’elle est tournée vers les acteurs de terrain et comporte plusieurs dispositions pratiques. Les contrats de médecins adjoints, les projets territoriaux de santé, les CPTS, les assistants ou les hôpitaux de proximité seront des mesures très palpables.
Certains représentants de médecins ont dénoncé le manque de concertation pour cette loi, que leur répondez-vous ?
Dr T. M. Je m’inscris en faux contre ces accusations. Tout a commencé en octobre 2017 avec le plan pour l’égal accès aux soins. Puis en février 2018, la stratégie de transformation a été lancée. Dans ce cadre-là, plusieurs missions ont eu lieu, j’ai eu l’honneur d’en porter une sur l’accès aux soins. À chaque fois, tous les acteurs ont été écoutés. Avant l’examen du texte à l’Assemblée nationale, j’ai procédé à plus de 40 heures d’audition et fait un nouveau tour de table complet. Les administrateurs de l’Assemblée disent même qu’on a battu les records d’audition pour un texte santé.
Votre amendement sur l’autorisation de prescription en pharmacie pour des pathologies bénignes a provoqué de vives réactions. N’allez-vous pas trop loin dans le transfert de compétences ?
Dr T. M. Les réactions des syndicats de médecins sont vives, les praticiens sur le terrain sont beaucoup plus nuancés. J’ai reçu bon nombre de messages de soutien sur le sujet mais j’ai conscience que je ne fais pas l’unanimité. C’est pourtant quelque chose qui se fait déjà beaucoup avec des protocoles locaux, hors des clous conventionnels. Cette proposition parle énormément aux Français car tout le monde a été confronté à une cystite ou une angine avec des difficultés à obtenir une consultation rapide. Cette mesure va sécuriser certaines pratiques, aussi bien d’un point de vue légal que scientifique. La HAS sera là pour cadrer les choses. Cet amendement est attendu par la population et porté bien au-delà des rangs de la majorité. J’espère qu’il sera adopté.
De nombreux amendements visant à contraindre l’installation ont été déposés. Le gouvernement peut-il résister encore longtemps à la pression des élus, de la population et de certains médecins réclamant la coercition ?
Dr T. M. Le socle de cette loi est la confiance avec les professionnels de santé. Des solutions alternatives à la coercition existent. Par exemple, mon amendement sur les pharmaciens vise plutôt à libérer du temps aux praticiens qu’à les contraindre. Le conventionnement sélectif, je le redirai à l’Assemblée, est une fausse bonne idée. En attendant les effets mécaniques de la suppression du numerus clausus, le nombre de médecins diplômés sera inférieur au nombre de praticiens partant en retraite. Les jeunes médecins ne travaillent pas au même rythme que leurs aînés et la population continue de s’accroître et de vieillir. La solution passera donc davantage par les soins coordonnés que par la coercition.
Les articles 1 et 2 de la loi concernent la réforme des études. On ne sait pas encore ce qui va remplacer la Paces et l’ECN. Les députés vont donc voter un texte sans cette information ?
Dr T. M. On ne va pas écrire dans la loi le contenu de ces nouveaux examens car c’est de l’ordre du réglementaire. Il y aura toujours une sélection. L’idée est de diversifier les parcours avec une moitié d’étudiants choisissant une majeure santé et une autre moitié privilégiant une autre majeure, sciences économiques et sociales par exemple, avec une mineure santé. Le tout pour limiter le gâchis humain avec tous les ans des étudiants qui quittent l’université au bout de la deuxième année de Paces. Avec cette réforme, même ceux qui ne rentreront pas en médecine pourront se convertir à de nouveaux métiers comme ingénieur de la santé, coordinateur… On estime par ailleurs que cette réforme permettra à terme de former 20 % de médecins de plus par an.
Les hôpitaux de proximité labellisés doivent accueillir 400 généralistes salariés ou en exercice mixte. Quel sera leur rôle ? N’est-ce pas un mauvais message envoyé à la médecine libérale ?
Dr T. M. Nous proposons de labelliser les hôpitaux de proximité sur la base du volontariat. Ils feraient l’objet d’un réinvestissement, notamment pour la biologie et l’imagerie et joueraient un rôle d’appui à la médecine de ville pour le premier recours avec des services de médecine, de soins de suite et de réadaptation ou encore des consultations avancées de spécialistes. Les hôpitaux de proximité auront un rôle d’aide au maintien sur le territoire des personnes fragiles sur des séquences aiguës. Les 400 médecins à exercice partagé sont destinés aux zones rurales totalement dépourvues en offre libérale. C’est un complément et non une concurrence à l’offre existante. Il n’est pas question d’aller mettre des dizaines de médecins salariés là où il y a un maillage important de libéraux.
Je connais des cabinets, même de deux ou trois médecins, qui ne communiquent pas du tout avec les autres médecins ou maisons de santé installés à 500 mètres
Cette loi prône, comme vous, la fin de l’exercice isolé. Un médecin exerçant seul aujourd’hui n’est pourtant pas forcément isolé de tous les autres ?
Dr T. M. Je connais des cabinets, même de deux ou trois médecins, qui ne communiquent pas avec leurs confrères ou des maisons de santé installés à 500 mètres. Certes, ils travaillent avec les infirmiers mais il n’y a aucune coordination entre médecins. Il est nécessaire que ces professionnels se mettent en réseaux. Les CPTS servent à cela. Il n’est pas question de changer la médecine libérale mais de mieux s’organiser !
La pétition de généralistes « contre l’abattage en médecine générale » (10 000 signatures) suggère de simplifier les demandes de certificats médicaux ou d’accéder directement aux paramédicaux. Qu’en pensez-vous ?
Dr T. M. J’ai lu cette pétition. Des propositions sont intéressantes mais assez peu sont d’ordre législatif. J’aimerais avancer sur les dispositions réglementaires visant à réduire la surcharge administrative des médecins. Je n’ai pas déposé d’amendement en ce sens en commission des affaires sociales mais j’envisage de le faire avant l’examen en séance la semaine prochaine.