Dr Sophie Le Guen, médecin généraliste

«En EHPAD, les soignants avaient peur, pour les résidents, pour eux-mêmes, pour leur famille.»

Publié le 06/10/2020
Article réservé aux abonnés
En juillet 2020, le Dr Sophie Le Guen, un médecin généraliste, a publié dans les réseaux sociaux une tribune détaillant l’impact sur les EHPAD du confinement et du virus « qui ont ébranlé des établissements entiers, le personnel et les résidents, laissant des plaies encore béantes ». «Le Quotidien» est allé à sa rencontre.

Crédit photo : DR

Cette médecin a choisi de se mettre au service de ces personnes vulnérables dont le quotidien a été bouleversé par la violence de la crise sanitaire de la COVID-19. Elle raconte

Le Quotidien : Vous n'étiez pas médecin en EHPAD avant l'épidémie, pourquoi avez-vous choisi de rejoindre un tel établissement ?

Dr Sophie Le Guen : J’ai rejoint un collectif de médecins du Val d’Oise en mars et avril pour travailler dans des gymnases aménagés en centre de tri Covid-19 afin de soulager les urgences et le 15. Ces initiatives ont pu se mettre en place grâce à une collaboration entre médecins, élus locaux, préfecture, CDOM, ARS et la Croix Rouge Française. Il y avait une vraie volonté d’agir vite pour endiguer la pandémie. L’ARS a ensuite très vite tiré la sonnette d’alarme pour aider dans les EHPAD où il manquait des soignants. Je suis intervenue pendant 6 semaines dans un EHPAD qui avait été très rapidement et sévèrement touché par la pandémie. À ce moment, le virus était déjà présent dans l’établissement, le loup était déjà entré dans la bergerie. Les 175 résidents se trouvaient sans médecin. J’ai pensé à ma grand-mère qui a séjourné plusieurs années en EHPAD. Je la visitais souvent le soir après le travail. Elle m’attendait avec son visage interrogateur sur « l’extérieur ». Elle était toujours avide de m’entendre lui raconter des anecdotes du métro, de la rue, des gens dehors. Je parlais, elle souriait. L’isolement social lui pesait, déjà. C’est pour elle que j’ai travaillé en EHPAD. Ces résidents c’était elle hier, ma mère demain et peut-être moi un jour.

Comment l'annonce du confinement a-t-elle été vécue par les soignants ?

Très difficilement. On a substitué l’éthique de la bientraitance des soignants à la brutalité d’un isolement total. Tous les soignants savaient que l’EHPAD était infectée, les moyens de protections manquaient, certains paramédicaux sont aussi tombés malades. Les autres n’ont pas compté leurs heures supplémentaires. L’isolement des résidents lié au confinement a eu deux conséquences : une rupture de l’équilibre précaire de la santé de certains résidents et une surcharge de travail et de charge mentale pour les soignants.

Avez-vous ressenti une peur des soignants vis-à-vis du virus et de la situation de détresse de certains résidents ?

Bien sûr, d’autant qu’on ne testait pas au début. Tout le monde avait peur, les soignants pour les résidents auxquels ils étaient attachés, pour eux-mêmes, pour leur famille. Les soignants savent bien que l’état d’équilibre des résidents repose sur le trépied équilibre nutritionnel, activité physique adaptée, vie sociale. La fermeture des salles à manger a transformé ce moment convivial en tête à tête avec un plateau-repas en plastique dans la chambre. L’arrêt des ateliers dispensés par des bénévoles, de la kinésithérapie, des sorties, des visites ont emmuré les résidents : privés de relation sociale et d’exercice physique, certains ont perdu la capacité de marcher. C’était aussi la fin des petits gestes de tendresse que prodiguent naturellement les soignants, tout simplement, serrer un résident dans les bras, faire une caresse sur la joue… Au-delà de la peur c’était la violence de cette mise à distance, le début d’une relation un peu moins humaine.

Avez-vous le sentiment d'avoir pu accompagner les patients et les résidents comme vous le souhaitiez ?

On a fait ce qu’on a pu. Les rangs de l’équipe se sont resserrés. On passait beaucoup de temps à parler avec les résidents, que ce soit moi ou les paramédicaux. L’Ipad, le téléphone ont permis de gommer un peu l’isolement mais c’est surtout le dévouement de tous pour multiplier les occasions de ne pas laisser les résidents trop longtemps seuls qui a été décisif.

Le sentiment d'abandon des résidents a-t-il résonné personnellement chez les soignants ?

Oui malgré tout car la règle était trop stricte. On aurait pu faire des aménagements au cas par cas, en fonction de l’architecture des structures. Cela a été fait ça et là officieusement (une visite derrière la fenêtre chez les résidentes dont les chambres étaient en rez-de-jardin, un concert ambulant faisant le tour à l’extérieur du bâtiment…). Mais comme tout était interdit, il n’y a pas eu de réflexion d’aménagement du champ des possibles, donc cela est resté anecdotique malheureusement. Il en reste un sentiment amer de ne pas avoir fait mieux.

Six mois après le début de l'épidémie de COVID-19 période, n'avez-vous gardé que des souvenirs négatifs de cette période ?

Heureusement non ! Je garde le souvenir de l’entraide et d’une chaîne humaine qui s’affaire dans le silence du confinement. Le souvenir des croissants que le boulanger apportait spontanément, la pile de journaux déposée devant la porte fermée, le rire de gorge d’une aide-soignante parce que « quand même il faut bien rire un peu », les pas feutrés d’une résidente qui sortait en cachette et le bruit d’un baiser soufflé sur la paume d’une main ridée.

Face à une possible deuxième vague ou à une pérennisation de l'activité virale, comment améliorer la situation des personnes en EHPAD et celle des soignants qui y travaillent ?

La COVID-19 pose la question de la fin des grands espaces communs. C’est la même chose pour les open spaces en entreprise. La grande salle à manger, la bibliothèque, la salle de jeu… doivent laisser la place à de plus petits espaces communs, plus nombreux. Organiser les zones comme de grands appartements de colocation avec une sortie sur l’extérieur pourrait permettre de confiner partiellement, si besoin en gardant une dimension plus humaine. Les chambres en rez-de-chaussée permettraient des visites « à la fenêtre » en gardant la distance. Les outils numériques doivent être développés aussi. Un Ipad pour tout un EHPAD pour remplacer les visites des familles ce n’est pas pensable. Pendant le confinement j’ai vu certains résidents effrayés de voir leur famille sur un écran car c’était la première fois qu’ils communiquaient ainsi. Il leur faut des grands écrans comme des télévisions et habituer les résidents à utiliser ces outils de communication. Des nouveaux EHPAD comme des « sweet home » c’est aussi améliorer la situation des soignants qui pourraient développer une autre approche du soin, plus global, plus personnalisée.

https://www.linkedin.com/pulse/confinement-en-ehpad-survivre-au-virus-o…

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin