Moindre concentration en principe actif, présence d’excipients mal tolérés, etc. Les génériques suscitent de nombreuses craintes. Si la plupart sont désormais écartées sur le plan scientifique, la substitution continue de poser problème à certains patients. Et, globalement, les Français consomment moins de génériques que leurs voisins européens même si le rapport d’étape de l’Igas publié la semaine dernière note un léger mieux dix mois après le lancement du plan générique 2015-2017.
Malgré toutes les incitations en faveur du générique, moins d’une boîte de médicament remboursée sur trois en France est une boîte de générique, alors qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni la proportion est bien supérieure à trois sur quatre. La prescription en DCI, théoriquement obligatoire depuis le 1er janvier 2015, reste, quant à elle, marginale.
Près des trois-quarts des médicaments ne sont prescrits que sous leur nom de marque, selon l’analyse de 815 ordonnances (rédigées du 20 mai au 29 juin 2015) réalisée par l’UFC-Que Choisir (n°543, janvier 2016). Cependant, dans son rapport d’étape sur le plan générique 2015-2017, l’Igas note que, 10 mois après le lancement du plan, en mars 2015, la pénétration des médicaments génériques a augmenté de 2,1 %. Par ailleurs, dans une enquête menée en octobre 2015 par l’éditeur Vidal,
70 % des généralistes et 53 % des spécialistes déclaraient avoir changer leur pratique de prescription en DCI.
Mais les réserves exprimées par l’Académie de Médecine sur l’équivalence thérapeutique entre génériques et princeps, les témoignages de certains médecins hospitaliers, les retraits de génériques pour irrégularité lors de la réalisation des études de bioéquivalence continuent à alimenter le doute sur la qualité de ces produits.
La non-équivalence thérapeutique, un faux procès ?
Pourtant, dans leurs rapports publiés en 2012, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), comme l’Académie nationale de pharmacie, font le sort à deux critiques couramment adressées aux génériques, concernant la bioéquivalence et les excipients à effets notoires. On lit souvent que la concentration sanguine du principe actif d’un générique peut varier de -20 à +25 % par rapport au princeps. C’est faux. En réalité c’est un paramètre statistique complexe, l’intervalle de confiance à 90%, qui doit être compris entre 80 et 125 % (0,90-1,11 pour les médicaments à marge thérapeutique étroite).
Cet intervalle, défini par une règle européenne, a été choisi pour que les variations pharmacocinétiques entre un générique et son princeps soient du même ordre que celles tolérées entre différents lots d’un même médicament. « C’est un indicateur statistique qui reflète la variabilité de la réponse pharmacocinétique d’un individu à un autre, explique le Pr Alain Astier (hôpital Henri-Mondor, Créteil), membre de l’Académie nationale de pharmacie. Dans la réalité, la concentration du principe actif dans le sang
varie de moins de 5 %, pour le princeps, comme pour le générique. »
Quant aux excipients à effets notoires, ils sont présents indistinctement dans les génériques et les princeps. Ils peuvent provoquer des réactions chez des personnes sensibles, mais ces effets sont rares « et se produisent dans les mêmes proportions et dans les mêmes conditions avec les médicaments génériques et les princeps », précise le rapport de l'Igas.
Dispose-t-on néanmoins d'arguments scientifiques pour contester l'équivalence thérapeutique entre génériques et princeps ? La littérature scientifique est rassurante dans ce domaine et pour l'Académie de pharmacie, « il n'y a pas d'études scientifiques, de niveau de preuve acceptable, pour établir que les génériques sont moins efficaces que leurs princeps, et ce dans différentes classes thérapeutiques ».
Plusieurs méta-analyses ont montré une équivalence clinique qu'il s'agisse de médicaments cardiovasculaires, de psychotropes ou même de médicaments à marge thérapeutique étroite comme les antiépileptiques ou la warfarine. Selon une revue de
47 études, dont 38 randomisées, sur 9 classes de médicaments cardiovasculaires, une équivalence clinique a été constatée dans toutes les études, sauf pour les diurétiques où elle n'était observée que dans 10 études sur 11 et pour les inhibiteurs calciques où elle était constatée dans 5 études sur 7 (Kesselheim AS et coll., Jama 2008).
En France, l'Assurance Maladie a évalué l'évolution de près de 100 000 patients ayant débuté un traitement par simvastatine prescrit par un généraliste. Les résultats ne montrent pas de différence dans l'incidence des événements CV graves et des décès après 2 ans de suivi. Pour l'épilepsie, une méta-analyse de 7 essais contrôlés randomisés ne montre aucune différence entre générique et princeps en ce qui concerne le contrôle de l'épilepsie (Kesselheim AS et coll., Drug 2010). Les études observationnelles indiquent, cependant, un retour important au médicament princeps, attribué au caractère anxiogène du passage au générique. Cela incite les auteurs à souligner la prudence nécessaire lors d'un changement de médicament pour une maladie dans laquelle les facteurs psychologiques jouent un rôle important.
[[asset:image:9491 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Des craintes liées à la mondialisation
Plus inquiétant est le rôle croissant joué par les pays émergents dans le marché du médicament. L'Igas s'interrogeait sur les garanties de sérieux offertes par les études de bioéquivalence, presque toujours menées à l'étranger, notamment en Inde. « Il n'est pas satisfaisant que ces études se fassent dans des conditions d'inspection et de contrôle extrêmement faibles, témoignait en 2013 le Dr Sylvain Picard, co-auteur du rapport de l'Igas. Les sites sont inspectés une fois, puis, s'il n'y a pas de problèmes, ne sont plus contrôlés. Il y a eu des exemples de centres qui, après avoir été inspectés, ont sous-traité leur activité à d'autres centres que personne ne connaît. » Par ailleurs, ces études incluent des patients qui n'ont pas le même poids, ni les mêmes habitudes alimentaires qu'en Europe. « N'est-ce pas un biais ? », s'interrogeait-il.
L'ANSM a mené dix inspections de bioéquivalence en 2014, toutes à l'étranger, dont 8 en Inde. Six sites et 22 essais ont été inspectés. Un écart critique a été noté pour 15 essais et c'est une inspection de l'ANSM qui a conduit à la suspension de l'AMM de 33 génériques en 2014 et 2015, en raison d'anomalies constatées dans la procédure d'enregistrement ECG lors des études de bioéquivalence.
À la suite de cette alerte, l'Agence européenne du médicament a décidé de suspendre la commercialisation des 700 génériques dont la bioéquivalence avait été évaluée par la société indienne GVK Biosciences, même si l'écart constaté ne remettait pas en question les résultats des études de bioéquivalence.
Les matières premières, source d’inquiétude
La provenance des matières premières est une autre source d'inquiétude. Si la majorité des génériques vendus en France sont fabriqués dans l’Hexagone (54 %) ou en Europe (95 %), en revanche 60 à 80 % des matières premières utilisées proviennent d'autres régions du monde, principalement d'Inde et de Chine. Mais il en est de même pour les médicaments princeps, car c'est l'ensemble du marché des matières premières qui est délocalisé. « Cela fait bien longtemps qu’on ne synthétise plus de paracétamol en France », remarque le Pr Milou-Daniel Drici, directeur du Centre de pharmacovigilance Nice-Alpes-Côte d’Azur.
Cette mondialisation vers des pays où la main-d’œuvre est moins chère expose à des ruptures de stock et à des problèmes de sécurité, d'autant plus préoccupants que ces sites éloignés sont difficiles à inspecter. Épisode dramatique, mais jusque-là isolé, les 81 décès survenus en 2008 aux États-Unis chez des personnes ayant reçu de l'héparine contaminée provenant de Chine témoignent des risques potentiels de ces délocalisations.
En France, les contrôles effectués ces dernières années dans les laboratoires de l'ANSM, pour évaluer la pureté du principe actif et la qualité du produit fini, mettent en évidence un taux de non-conformité relativement stable, aux alentours de 3 %, qu'il s'agisse de princeps ou de génériques. Sur les 104 lots de génériques contrôlés en 2014, trois non-conformités ont été détectées, soit le même nombre que sur les 14 lots de princeps contrôlés. Ces non-conformités peuvent correspondre à la présence d'impureté ou des écarts de dosage en principe actif, mais aussi à des problèmes de sécabilité, d'étiquetage…
Au total, si l'on excepte les études de bioéquivalence, spécifiques aux génériques, « les inspections et contrôles réalisés par l’Agence et le suivi des effets indésirables ne montrent pas d’écarts notables entre les médicaments génériques et les princeps », indique l'ANSM.
[[asset:image:9516 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Difficultés au quotidien
Un risque bien réel, en revanche, est celui d'erreur liée aux changements répétés de médicaments. « Lorsque l'on prescrit un générique et qu'il change tous les mois en fonction de l'offre des répartiteurs chez les pharmaciens, cela pose un vrai problème en termes d'observance et de suivi du traitement, observe le Pr Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants. La galénique change, la boîte change. C'est un facteur de confusion majeur. » Malgré l'engagement des pharmaciens de stabiliser les traitements chez les plus de 75 ans, ce problème n'est pas résolu, estime-t-il : « En pratique, les génériques distribués dans les officines dépendent avant tout des répartiteurs et des marges offertes ».
On sait bien que l'effet placebo ou nocebo lors du passage d'un médicament à l'autre peuvent transformer l'effet thérapeutique et l'observance. Ces risques existent aussi lors d'un changement de princeps, mais les génériques les rendent plus aigus, du fait de la substitution. « La galénique intervient pour beaucoup, remarque le Pr Drici.
Dans ce contexte, « la persuasion du médecin » quand il prescrit le médicament, semble déterminante. La thèse du Dr Mélanie Pirat (juin 2015), qui a analysé le ressenti de patients de la région PACA vis-à-vis des génériques, souligne la « confiance inébranlable » de la plupart d'entre eux en leur médecin traitant.
De leur côté, les généralistes semblent plutôt confiants dans les génériques comme le met en lumière le travail de thèse conduit par Olivier Jallades auprès de praticiens de l'arc alpin. Reste que beaucoup d'entre eux « estiment que leur rôle n’est pas de réaliser des économies, mais de se concentrer sur leur activité de soin », peut-on lire dans la thèse du Dr Sandra Coste, réalisée à partir d'entretiens avec des généralistes de Haute-Vienne (octobre 2014). « Leur sentiment le plus profond, c'est d'être obligé de discuter avec le patient, d'expliquer, alors qu'ils n'ont pas été formés pour cela, confie le Dr Coste. C'est vrai, nous ne sommes pas armés après nos études pour expliquer des notions comme la bioéquivalence. Il faudrait des informations autres que celles du grand public pour les médecins. »
Vers l’apaisement
Néanmoins, pour le Pr Renard, « le combat sur la légitimité des génériques n'est plus du tout au premier plan. Certains patients ont encore des réticences parce qu'il y a une crainte du moins-disant et donc de la moindre qualité. Mais là encore les choses sont en train de s'apaiser ».